CHANTIERSDE L'ATLANTIQUE (439067612). Entreprise basĂ©e Ă  SAINT NAZAIRE (44600). Renseignements juridiques, situation, sanctions, recommandations, dĂ©clarations d’impayĂ©s sur basĂ©e Ă  SAINT NAZAIRE (44600). dansle secteur de la dĂ©fense avec des notions de confiden-tialitĂ© Ă©levĂ©es). Ils peuvent externaliser certaines Ă©tudes auprĂšs de spĂ©cialistes (cabinets d’ingĂ©nierie,grands Ă©quipementiers). Exemples d’entreprises: Alpha technique, Arco Marine, Bureau Mauric, Naval Group, les Chantiers de l’Atlantique 1 Partie 1.1 CSE CHANTIERS DE L ATLANTIQUE demeurant au AV ANTOINE BOURDELLE 44600 SAINT-NAZAIRE immatriculĂ©e au rĂ©pertoire des entreprises et Ă©tablissements de l’INSEE Lebureau d'Ă©tudes Chantiers de l'Atlantique est composĂ© d'environ 800 personnes et dispose d'un exceptionnel savoir-faire de concepteur et d'intĂ©grateur. Dans un souci permanent de rĂ©duction de l'empreinte environnementale de ses rĂ©alisations, le bureau d'Ă©tudes propose des solutions innovantes Ă  ses clients. RattachĂ© hiĂ©rarchiquement au Responsable de Fonction Legroupe finlandais Aker Yards avait annoncĂ© le 4 janvier dernier l’achat des Chantiers de l’Atlantique. La transaction finale doit intervenir, demain, jeudi 1er juin. Les Chantiers de l 0dKpk9. Le Tribunal d’Instance vient de se dĂ©clarer incompĂ©tent » et renvoie l’affaire au Tribunal de Grande Instance, dans le cadre du contentieux qui oppose la CGT Navale Ă  la direction des Chantiers de l’Atlantique. Il s’agissait principalement de trancher sur la validitĂ© et la lĂ©galitĂ© du nouveau mode de rĂ©partition des effectifs sous-traitants permanents » pris en compte dans le cadre des Ă©lections ici pour lire le communiquĂ© Entreprises CSE CHANTIERS DE L ATLANTIQUE Informations GĂ©nĂ©rales DĂ©nomination CSE CHANTIERS DE L ATLANTIQUE SIREN 423 582 121 SIRET 423 582 121 00012 D-U-N-S Number Obtenir le D-U-N-S TVA intracommunautaire FR09423582121 Code NAF 9420Z ActivitĂ©s des syndicats de salariĂ©s Forme juridique ComitĂ© social Ă©conomique d’entreprise Date de crĂ©ation de l'entreprise 16/08/1999 Date de crĂ©ation siĂšge actuel 16/08/1999 Tranche d'effectif de l'Ă©tablissement 3 Ă  5 salariĂ©s PrĂ©sentation de CSE CHANTIERS DE L ATLANTIQUE En dĂ©tail Avec un capital social non renseignĂ© Ă  l'heure actuelle, la sociĂ©tĂ© CSE CHANTIERS DE L ATLANTIQUE est un syndicat de salariĂ©s. Les locaux de cette entreprise se trouvent Av Antoine Bourdelle dans la commune de Saint-Nazaire. Sa crĂ©ation date d'aoĂ»t n° SIRET 423 582 121 00012 est associĂ© au siĂšge de la sociĂ©tĂ© CSE CHANTIERS DE L compte 12 689 entitĂ©s dans ce secteur d'activitĂ© Ă  l'Ă©chelle nationale. Selon nos observations, ses concurrents dans ce domaine ont un chiffre d'affaires moyen Ă©tabli Ă  637 000 € dans le pays. Chiffres clĂ©s solvabilitĂ© et bilans de CSE CHANTIERS DE L ATLANTIQUE Cette entreprise ne publie pas son bilanou a dĂ©cidĂ© de le garder confidentiel Derniers articles publiĂ©s sur notre blog Le chantier naval situĂ© Ă  Saint-Nazaire retrouve son nom historique, qu'il avait perdu il y a douze ans. Une culture de l’innovation au service du dĂ©veloppement durable InstallĂ©e sur la façade Atlantique, Chantiers de l’Atlantique est un des leaders mondiaux sur les marchĂ©s des navires hautement complexes et des installations offshore. OrganisĂ©e en 3 business units – navires, Ă©nergies marines et ingĂ©nierie, services – l’entreprise est mondialement reconnue dans les domaines de la conception, de l’intĂ©gration, des essais et de la livraison clĂ© en main de paquebots, de navires militaires et de sous-stations Ă©lectriques pour les champs Ă©oliens offshore. Par ailleurs, Chantiers de l’Atlantique s’appuie sur son expertise de la construction navale pour accompagner les armateurs civils et militaires tout au long du cycle de vie de leurs navires. Consciente de l’enjeu sociĂ©tal, environnemental et Ă©conomique que reprĂ©sente la rĂ©duction de l’empreinte environnementale de ses produits, Chantiers de l’Atlantique poursuit depuis 2007, un programme de recherche et dĂ©veloppement sur ces thĂšmes appelĂ© programme Ecorizon » qui a d’ores et dĂ©jĂ  permis d’apporter des amĂ©liorations dĂ©cisives en termes d’ efficacitĂ© Ă©nergĂ©tique et de baisse des Ă©missions atmosphĂ©riques. DĂ©couvrir les activitĂ©s de l’entreprise DĂ©couvrir les activitĂ©s de l’entreprise Des engagements forts pour nos clients La mission de Chantiers de l’Atlantique est d’ĂȘtre au service de ses clients en dĂ©veloppant des produits et services innovants apportant satisfaction Ă  leurs utilisateurs. L’entreprise apporte son expertise et ses solutions pour offrir de nouvelles opportunitĂ©s d’efficacitĂ© et d’économies Un ancrage historique fort Avec 160 ans d’existence, Chantiers de l’Atlantique a marquĂ© de son empreinte l’histoire de la construction navale. Concepteur et constructeur de navires de lĂ©gende, l’entreprise maintient sa dynamique de croissance en ajoutant les marchĂ©s de l’offshore et de la maintenance des navires Ă  son panel de compĂ©tences, contribuant ainsi Ă  la pĂ©rennitĂ© des emplois sur son site historique de Saint-Nazaire mais aussi dans des implantations nouvelles. Histoire Une stratĂ©gie au service de ses clients Chantiers de l’Atlantique occupe une position stratĂ©gique pour rĂ©pondre aux besoins de ses clients et partenaires et affiche clairement son ambition de demeurer un des leaders mondiaux pour les grands navires complexes, un acteur majeur de la transition Ă©nergĂ©tique europĂ©enne et du cycle de vie des navires au travers de ses Business Units. Ce qui nous rassemble Les femmes et les hommes de Chantiers de l’Atlantique sont au cƓur de la rĂ©ussite de l’entreprise et moteurs de la performance. Ils partagent des valeurs fortes – l’humain, la passion, le progrĂšs, l’engagement – leur permettant de relever les dĂ©fis du quotidien. RĂ©sumĂ© Index Plan Texte Bibliographie Annexe Notes Citation Auteur RĂ©sumĂ©s TirĂ© d’une Ă©tude sociologique rĂ©alisĂ©e auprĂšs de trois gĂ©nĂ©rations d’ouvriers des Chantiers de l’Atlantique, cet article dĂ©crit et analyse, dans une perspective dynamique, d’un cĂŽtĂ© les transformations de l’emploi et du travail dans l’industrie navale au cours des cinq derniĂšres dĂ©cennies 1950–2005 et, de l’autre, les mutations de la socialisation professionnelle et des rapports intergĂ©nĂ©rationnels au travail dans le groupe ouvrier des mĂ©tallos. Partant du postulat selon lequel l’ñge et la gĂ©nĂ©ration ne sont pas des donnĂ©s sociologiques en soi mais relĂšvent d’une construction sociale singuliĂšre, notre propos vise Ă  montrer en quoi le mode d’engendrement des trois gĂ©nĂ©rations ouvriĂšres ainsi observĂ©es repose d’abord et avant tout sur des modes diffĂ©renciĂ©s d’accĂšs Ă  l’emploi, d’une part, et de socialisation professionnelle et organisationnelle, d’autre part. Based on the data of a sociological study conducted among three generations of workers of Chantiers de l’Atlantique, this article describes and analyzes, in a dynamic prospect, first, the changes in employment and labor in the shipbuilding industry over the last five decades 1950–2005 and, secondly, the changes in professional socialization and intergenerational relationships at work in the group of the metal-workers. On the basis of the postulate according to which the age and the generation are not sociological data in themselves but result from a singular social construction, our purpose is to show how the mode of production of the three working generations observed is directly related to differences in access to employment on the one hand, and to professional and organizational socialization on the other de page EntrĂ©es d’index Haut de page Texte intĂ©gral 1 PICS 2510, CNRS, sous la direction de Francis Bailleau, 2004–2006. 2 Outre l’exploitation de statistiques relatives aux effectifs salariĂ©s des Chantiers Ă©volution dĂ©mo ... 3 Ces bornes chronologiques correspondent Ă  l’histoire des Chantiers de l’Atlantique et recouvrent tr ... 1Cet article s’appuie sur une enquĂȘte sociologique que j’ai menĂ©e courant 2005–2006 auprĂšs de trois gĂ©nĂ©rations de salariĂ©s des Chantiers de l’Atlantique dans le cadre d’une recherche comparative internationale sur la transformation des solidaritĂ©s » Argentine, Canada, France1. Toute une partie du matĂ©riau recueilli dans le cadre de cette enquĂȘte concerne plus particuliĂšrement l’évolution conjointe des sociabilitĂ©s ouvriĂšres et des conditions d’emploi et de travail au sein des chantiers navals de Saint-Nazaire2. En reconstituant les trajectoires professionnelles d’une quarantaine d’individus reprĂ©sentant trois gĂ©nĂ©rations d’ouvriers de la navale — une premiĂšre nĂ©e entre 1930 et 1950, une seconde nĂ©e entre 1950 et 1970, et une derniĂšre nĂ©e entre 1970 et 1985 — cette enquĂȘte a permis de reconstruire les transformations, mais aussi certaines reproductions, qui ont affectĂ© ce groupe professionnel en l’espace d’un peu plus de cinquante ans 1950–20053. L’attention portĂ©e aux transformations de l’emploi et du travail dans l’industrie navale au cours des cinq derniĂšres dĂ©cennies permet en particulier de montrer en quoi le mode d’engendrement des trois gĂ©nĂ©rations ouvriĂšres ainsi observĂ©es repose d’abord et avant tout sur des modes diffĂ©renciĂ©s d’accĂšs Ă  l’emploi d’une part, et de socialisation professionnelle et organisationnelle d’autre part, ces deux facteurs Ă©tant par ailleurs en partie liĂ©s. 4 Le mĂ©tier de mĂ©tallo dans la construction navale comprend trois principaux corps de mĂ©tiers les s ... 2Le texte qui suit se propose de mettre en perspective la construction sociale de ces trois gĂ©nĂ©rations ouvriĂšres sous l’angle d’une triple Ă©volution observĂ©e au sein du groupe ouvrier mĂ©tallo4 des Chantiers de l’Atlantique. Suivant en cela la chronologie de toute trajectoire professionnelle, nous analyserons dans un premier temps l’évolution des conditions d’entrĂ©e dans l’entreprise en fonction notamment des contextes Ă©conomiques et conjoncturels plus ou moins propices aux embauches et Ă  un certain type d’embauche emplois qualifiĂ©s/non qualifiĂ©s, garantis/non garantis. Nous dĂ©crirons ensuite quelques-unes des formes dominantes de la socialisation professionnelle des mĂ©tallos en tĂąchant de caractĂ©riser plus prĂ©cisĂ©ment les mutations que celles-ci ont connues en l’espace de trois gĂ©nĂ©rations et les effets que ces mutations ont produit sur l’intĂ©gration du groupe ouvrier. Enfin, nous aborderons dans un troisiĂšme temps la transformation des rapports de travail en nous intĂ©ressant tout Ă  la fois aux rapports verticaux avec la hiĂ©rarchie et aux rapports horizontaux dĂ©veloppĂ©s au sein du groupe ouvrier. À chaque fois, une attention particuliĂšre sera portĂ©e aux rapports intergĂ©nĂ©rationnels qui constituent aussi une grille de lecture heuristique de ces diffĂ©rentes transformations. Au final, notre propos sera Ă  la fois de caractĂ©riser ces trois gĂ©nĂ©rations en soi, en mettant en relation — dans une sociologie du destin Chauvel, 1998 — une position gĂ©nĂ©rationnelle et une trajectoire d’intĂ©gration professionnelle, et de les caractĂ©riser entre elles, en dĂ©crivant plus prĂ©cisĂ©ment les rapports intergĂ©nĂ©rationnels au travail. 1. L’évolution des conditions d’entrĂ©e et du profil ouvrier aux Chantiers Les Trente Glorieuses Ă  Saint-Nazaire ou l’ñge d’or de l’industrie navale dans l’économie locale 5 Nous dĂ©signons par Chantiers » l’entreprise Chantiers de l’Atlantique, et par chantiers » les c ... 6 La ville de Saint-Nazaire en tire elle aussi trĂšs vite son identitĂ© premiĂšre. Ainsi, on peut lire e ... 3Lorsque l’on retrace les trajectoires professionnelles des trois derniĂšres gĂ©nĂ©rations de mĂ©tallos aux Chantiers de l’Atlantique, c’est toute la structure de l’emploi en France et l’évolution du marchĂ© mondial de la construction navale qui se trouvent, de fait, mises en valeur5. Au dĂ©but des annĂ©es 1950, la France se situe parmi les cinq premiers pays du monde sur le crĂ©neau de la construction navale. La rĂ©gion nazairienne qui s’étend jusqu’à la Grande BriĂšre vit au rythme de l’industrie navale6. Entre 1947 et 1962, les effectifs de salariĂ©s de l’industrie progressent de 4 % par an, puis de 3 % de 1968 Ă  1982. Les annĂ©es 1960 et 1970 sont, dans l’histoire des Chantiers, ce que l’on appelle les annĂ©es fastes ». La demande de navires sur le marchĂ© mondial est en forte croissance en raison des besoins de transports de marchandises lourdes les minerais, les matiĂšres premiĂšres et en premier lieu les produits pĂ©troliers. Les carnets de commandes sont pleins, et les besoins de main d’Ɠuvre trĂšs importants. 7 Les ressources tirĂ©es de l’économie rurale permettaient par exemple aux ouvriers-paysans de BriĂšre ... 4C’est dans le monde rural proche que les Chantiers trouvent une grande partie de leur main d’Ɠuvre, et en particulier une main d’Ɠuvre non qualifiĂ©e. Beaucoup de retraitĂ©s appartenant Ă  la premiĂšre gĂ©nĂ©ration interrogĂ©e ont commencĂ© leur vie active au sein de la ferme familiale. Dans ces familles nombreuses et dans lesquelles, de ce fait, plusieurs frĂšres peuvent prĂ©tendre Ă  la succession de leur pĂšre sur l’exploitation familiale, les aĂźnĂ©s se trouvent bien souvent dans l’obligation d’aller travailler Ă  l’extĂ©rieur. Et puisque les Chantiers embauchent, c’est dans la construction navale qu’ils se dirigent massivement. Ils dĂ©marrent leur carriĂšre en qualitĂ© de manƓuvre M1 et M2 avant de passer, en toute logique, ouvrier spĂ©cialisĂ© OS1, puis OS2 et, plus rarement, ouvrier professionnel OP1 ou OP2, le grade d’OP3 Ă©tant rĂ©servĂ© aux seuls titulaires d’un certificat d’aptitude professionnelle [CAP]. Si l’entrĂ©e aux Chantiers signe pour toute une partie de ces ruraux la fin de l’économie paysanne, beaucoup d’autres continuent pour leur part Ă  mener la double vie » RĂ©ault, 1991. La figure de l’ouvrier-paysan se dĂ©veloppe dĂšs l’entre-deux-guerres, mais elle prend dans la rĂ©gion nazairienne une ampleur sans prĂ©cĂ©dent dans les annĂ©es 1950–1960 et, dans une moindre mesure, dans les annĂ©es 1970. Cette figure est plus particuliĂšrement incarnĂ©e par les BriĂ©rons Fleury, 1980 qui conservent dans leur mode de vie tout un ensemble d’activitĂ©s rurales liĂ©es Ă  l’exploitation des marais d’une part coupe des roseaux, tourbage, pĂȘche, chasse, etc., et Ă  la perpĂ©tuation d’une petite ferme familiale d’autre part. Cette double vie » ou double Ă©conomie — que l’on devine Ă©prouvante tant elle se construit dans une gestion rigoureuse et optimale du temps journĂ©es/semaines aux Chantiers ; soirĂ©es/week-ends Ă  la ferme et dans les marais — caractĂ©rise par excellence la prolĂ©tarisation inachevĂ©e » RĂ©ault, 1977 de certains mondes ouvriers des Trente Glorieuses qui, pour assurer leur existence, maintiennent et mobilisent un certain nombre de ressources matĂ©rielles terre, fleuve, habitat, matĂ©riel Ă  usage collectif... et immatĂ©rielles liens et solidaritĂ©s communautaires, savoir-faire d’autochtonie... lesquelles s’ajoutent ainsi aux seuls revenus du travail salariĂ©7. 5Les ouvriers-paysans de BriĂšre, embauchĂ©s pour beaucoup d’entre eux comme manƓuvres mais aussi comme charpentiers, riveurs et chanfreineurs, constituent donc une premiĂšre partie, massive, de la population mĂ©tallo des annĂ©es 1950–1960. À partir des annĂ©es 1960, les ouvriers qualifiĂ©s deviennent de plus en plus nombreux ils reprĂ©sentent ainsi 57,3 % de l’effectif ouvrier en 1956, 65,8 % en 1966 et 91,5 % en 1976. La plupart d’entre eux sortent du collĂšge technique de Saint-Nazaire ou de l’école d’apprentissage des Chantiers qui dispense des formations de CAP sur trois ans. L’école ferme en 1975, annĂ©e Ă  partir de laquelle le niveau de commande et notamment de pĂ©troliers dĂ©croĂźt, et avec lui le niveau et la qualitĂ© des emplois dans le bassin industriel nazairien. Le tournant des annĂ©es 1970 l’accroissement continu de la concurrence, de la sous-traitance et de la flexibilitĂ© de l’emploi 8 Les Chantiers comptaient 10 500 salariĂ©s en 1955, 8200 en 1964 et 6600 en 1974. 6Les annĂ©es 1970 sont marquĂ©es par la dĂ©gradation de la conjoncture Ă©conomique mondiale associĂ©e Ă  l’essor de nouveaux concurrents sur le marchĂ© de la construction navale Japon, CorĂ©e du Sud, Taiwan, Singapour, BrĂ©sil, Pologne, etc.. Cette nouvelle situation Ă©conomique entraĂźne une baisse des effectifs8 ainsi que le dĂ©veloppement de nouvelles formes d’emploi. Se dĂ©veloppent en particulier les emplois temporaires encadrĂ©s juridiquement par la loi du 3 janvier 1972 ainsi que les contrats Ă  durĂ©e dĂ©terminĂ©e CDD, créés en 1979. La seconde gĂ©nĂ©ration de mĂ©tallos interrogĂ©e dans le cadre de cette enquĂȘte, c’est-Ă -dire celle qui dĂ©marre sa vie active dans les annĂ©es 1970, est donc la premiĂšre Ă  connaĂźtre une telle phase de transition professionnelle. On relĂšve en moyenne un salariĂ© sur quatre appartenant Ă  cette gĂ©nĂ©ration qui est passĂ© par une expĂ©rience en intĂ©rim ou, plus rarement, en CDD avant d’ĂȘtre embauchĂ© en contrat Ă  durĂ©e indĂ©terminĂ©e CDI. Si la relation d’emploi ne se construit alors plus exclusivement autour du seul CDI, il serait erronĂ© cependant de situer ici le dĂ©but de la flexibilitĂ© de l’emploi dans le bassin industriel nazairien. Celle-ci devient plus exactement subie, lĂ  oĂč elle Ă©tait davantage intĂ©grĂ©e par les mĂ©tallos de la premiĂšre gĂ©nĂ©ration qui, du fait de la situation de plein-emploi alors observĂ©e en France, n’hĂ©sitaient pas Ă  rompre leur CDI au profit d’un autre emploi, toujours en CDI, mais offrant de meilleures garanties sur le plan du salaire, de la couverture sociale, des conditions de travail, etc. La norme de l’emploi Ă  vie » telle qu’on se la reprĂ©sente communĂ©ment Ă  propos de cette Ă©poque mĂ©rite ainsi d’ĂȘtre quelque peu nuancĂ©e. Parce que la majeure partie des emplois sont alors garantis dans la durĂ©e, la mobilitĂ© des salariĂ©s est de ce fait davantage encouragĂ©e celle-ci relĂšve d’une logique de flexibilitĂ© intĂ©grĂ©e bien plus que d’une logique de prĂ©caritĂ© subie, comme ce sera le cas pour les gĂ©nĂ©rations entrant sur le marchĂ© du travail au cours des annĂ©es 1970 et davantage encore au cours des dĂ©cennies 1980 et 1990. 9 Entre 1992 et 2002, le nombre d’emplois intĂ©rimaires dans l’industrie en France a Ă©tĂ© multipliĂ© par ... 10 Les carnets de commande vont d’ailleurs vite se remplir dĂšs 1998, les Chantiers ont 17 paquebots ... 11 Le procĂšs qui s’est tenu en fĂ©vrier 2008 Ă  Saint-Nazaire pour juger la part de responsabilitĂ© des C ... 12 À l’époque, les sous-traitants repĂ©rĂ©s comme des partenaires privilĂ©giĂ©s sont d’ailleurs invitĂ©s Ă  ... 7L’évolution de la structure de l’emploi, qui est assez reprĂ©sentative de ce qui se produit dans bien des secteurs de l’industrie tout au long de la dĂ©cennie 19909, est directement liĂ©e au dĂ©veloppement de la sous-traitance. Si celle-ci a toujours plus ou moins existĂ© aux Chantiers, elle change de nature et s’intensifie vers la fin des annĂ©es 1990. Prenant ses fonctions aprĂšs quelques annĂ©es de baisse de l’activitĂ©, la nouvelle direction mise en place en 1997 lance une annĂ©e plus tard le Plan Cap 21 Construire l’Avenir pour le xxie siĂšcle dont l’objectif majeur est de rĂ©duire de 30 % le coĂ»t de fabrication des navires en l’espace de trois ans, l’enjeu Ă©tant d’anticiper la fin des subventions publiques programmĂ©e pour 2001. Le choix est alors fait de recentrer la production sur les paquebots de luxe d’une part, ce sont des navires Ă  forte valeur ajoutĂ©e et, d’autre part, le marchĂ© de la croisiĂšre est Ă  l’époque en pleine expansion10. Pour tenir ces objectifs — ils le seront —, les Chantiers dĂ©veloppent, Ă  cĂŽtĂ© de la sous-traitance de charge qui a toujours existĂ© sur le site, une sous-traitance de spĂ©cialitĂ© pour l’équipement des bateaux cĂąbles, ventilation, cabines, etc., les fonctions de nettoyage, de gardiennage, mais aussi de sĂ©curitĂ©, lesquelles sont alors assurĂ©es par l’entreprise donneuse d’ordres11. Un dernier palier, dans ce processus d’externalisation croissante de la production, est franchi lorsque les Chantiers vendent aux entreprises sous-traitantes plusieurs bĂątiments du site destinĂ©s Ă  la prĂ©fabrication et au prĂ©montage de nombreux Ă©lĂ©ments de production des paquebots. La prĂ©fabrication et le prĂ©montage consistent Ă  assembler directement sur la coque des paquebots tout un ensemble d’élĂ©ments prĂ©fabriquĂ©s tels que les blocs de tĂŽle, la tuyauterie, la ventilation, les hublots, les passes cĂąbles, les cabines, etc. Ces Ă©lĂ©ments sont fabriquĂ©s soit sur le site des Chantiers lequel s’étend sur 116 hectares dont 26 de surface couverte, soit dans d’autres lieux de production. Si elles ne sauraient expliquer Ă  elles seules le recours massif Ă  la sous-traitance, les mutations technologiques de la construction navale caractĂ©risĂ©es par le passage du montage piĂšce Ă  piĂšce des navires au prĂ©montage en facilitent incontestablement le dĂ©veloppement. Fin 1999, les fournisseurs — dĂ©sormais appelĂ©s corĂ©alisateurs plutĂŽt que sous-traitants dans un souci de responsabilisation autour des impĂ©ratifs de productivitĂ©12 — assurent ainsi 73 % de la valeur ajoutĂ©e d’un bateau Bonneau et al., 2000. Au moment de la construction du Queen Mary II de janvier 2002 Ă  novembre 2003, ce sont plus de 14 000 salariĂ©s qui travaillent sur le site. Parmi eux, 8000 appartiennent Ă  quelques 700 entreprises sous-traitantes la plupart de rang 1 ou 2, certaines de rang 6 voire 7 relevant au total d’une quinzaine de conventions collectives. Beaucoup de jeunes mĂ©tallos des Chantiers aujourd’hui embauchĂ©s en CDI sont donc passĂ©s au prĂ©alable par la sous-traitance et, ce qui lui est bien souvent liĂ©, l’emploi intĂ©rimaire. 13 La part de l’effectif intĂ©rimaire Ă©quivalent temps plein dans l’ensemble des ouvriers employĂ©s pa ... 8La derniĂšre gĂ©nĂ©ration, qui entre sur le marchĂ© du travail dans les annĂ©es 1990 et 2000, peut donc ĂȘtre qualifiĂ©e, Ă  juste titre, de gĂ©nĂ©ration d’intĂ©rimaires » ils ont quasiment tous connu une premiĂšre expĂ©rience professionnelle en intĂ©rim — dans l’entreprise Chantiers de l’Atlantique13 ou, plus souvent, dans les entreprises sous-traitantes — avant d’ĂȘtre dĂ©finitivement embauchĂ©s. Ces quelques annĂ©es d’expĂ©rience professionnelle sur le site constituent, en pratique, une sorte de longue pĂ©riode d’essai. Les agents de maĂźtrise de l’entreprise donneuse d’ordres sont en effet en contact direct avec les intĂ©rimaires ceux, bien entendu, qui sont embauchĂ©s par les Chantiers mais aussi ceux — largement majoritaires — qui sont embauchĂ©s par des sous-traitants. Dans bien des cas, ils les encadrent et supervisent leur travail. De ce fait, c’est dans ce stock » d’intĂ©rimaires que ces mĂȘmes agents et, plus largement, les responsables des ressources humaines vont puiser quand ils auront besoin d’embaucher des permanents. 9Toujours dans cette perspective d’embauche, les Chantiers de l’Atlantique assurent Ă©galement une politique de formation assez volontariste en direction des nouveaux ouvriers embauchĂ©s sur des postes pour lesquels l’entreprise peine Ă  trouver de la main d’Ɠuvre qualifiĂ©e, comme ceux, en particulier, de soudeur, charpentier mĂ©taux et chaudronnier. Ainsi, en 1999, les Chantiers assurent 90 500 heures de formation en direction de leurs ouvriers, soit 37 000 heures de plus que les obligations lĂ©gales en la matiĂšre Gelabart, 2001. De mĂȘme, alors que les critĂšres de recrutement classiques sur les postes de soudeurs et de chaudronniers sont basĂ©s sur des niveaux de qualification CAP, Bac professionnel et Bac technologique Sciences et techniques industrielles spĂ©cialisĂ©s en chaudronnerie industrielle et d’expĂ©rience professionnelle les soudeurs par exemple sont soumis Ă  la validation, tous les ans, d’un agrĂ©ment justifiant leurs connaissances et savoir-faire, les Chantiers entreprennent Ă  partir de 1999, en collaboration avec le Service public de l’emploi, la mise en place de nouveaux critĂšres de recrutement basĂ©s sur l’habiletĂ© personnelle et les comportements des candidats » lors d’une mise en situation de travail afin de repĂ©rer plus aisĂ©ment les ouvriers Ă  qui proposer une formation qualifiante. C’est dans ce cadre qu’une politique de recrutement d’un personnel fĂ©minin sur des mĂ©tiers jusqu’alors exclusivement masculins soudeurs, chaudronniers, tuyauteurs, calorifugeur, etc. est initiĂ©e. Cette fĂ©minisation des mĂ©tiers de la navale qui s’étend jusque dans les entreprises sous-traitantes reste malgrĂ© tout assez marginale si la part des femmes dans les effectifs ouvriers des Chantiers est en moyenne de 2 % dans les annĂ©es 1970 et 1980, et de 1 % dans les annĂ©es 1990, elle passe Ă  4,5 % en 2005. On peut expliquer les limites de cette tentative de fĂ©minisation du groupe ouvrier par la duretĂ© des conditions de travail et des formes de dominations vĂ©cues par beaucoup de ces nouvelles recrues Malek et Soulier, 2005 mais aussi, d’aprĂšs les tĂ©moignages recueillis auprĂšs des syndicats, par les rapports de travail souvent difficiles qu’elles ont rencontrĂ© avec une population masculine ancrĂ©e, pour sa part, depuis des dĂ©cennies dans le secteur de la construction navale. Les mĂ©tallos peuvent ainsi voir d’un mauvais Ɠil cette intrusion des femmes dans leur prĂ©carrĂ©... En premier lieu, cette prĂ©sence fĂ©minine a pour effet de remettre en question le caractĂšre trĂšs sexuĂ© de leur identitĂ© professionnelle. Par ailleurs, et comme nous le dĂ©veloppons plus loin dans une analyse des rapports de travail entre ouvriers des Chantiers et ouvriers de la sous-traitance, il semble bien que toute introduction dans le procĂšs de travail de personnel Ă©tranger » aux Chantiers — qu’il s’agisse des femmes, des jeunes intĂ©rimaires ou des travailleurs Ă©trangers recrutĂ©s par la sous-traitance Ă  partir des annĂ©es 2000 — soit perçu comme une menace quant Ă  la sauvegarde d’un savoir-faire mondialement rĂ©putĂ© sur lequel s’est bĂąti et repose encore aujourd’hui la forte identitĂ© professionnelle des mĂ©tallos de la navale nazairienne. 14 Cette part dĂ©passe en effet les 80 % Banque de France, 2007. En 2007, la rĂ©munĂ©ration moyenne men ... 15 La moyenne d’ñge a longtemps Ă©tĂ© tirĂ©e vers le haut du fait des Ă©vĂšnements de filialisation et de d ... 16 Le dĂ©cret nÂș 99‑247 du 29 mars 1999 autorise, sous certaines conditions, le dĂ©part en prĂ©retraite d ... 10Un dernier point relatif aux transformations des conditions d’entrĂ©e et du profil ouvrier aux Chantiers doit ĂȘtre soulignĂ©. Le dĂ©veloppement de la sous-traitance s’est essentiellement rĂ©alisĂ© dans la catĂ©gorie professionnelle des ouvriers. Longtemps majoritaires, ces derniers sont aujourd’hui moins nombreux que les employĂ©s, techniciens, dessinateurs et agents de maĂźtrise ETDA, ce qui explique — en partie et en partie seulement car les emplois ouvriers sont en majoritĂ© des emplois qualifiĂ©s — le poids relativement Ă©levĂ© des salaires dans la valeur ajoutĂ©e de la construction navale14. Ainsi, en 2005, les ouvriers ne reprĂ©sentent plus que 40 % de l’effectif total de salariĂ©s, contre 53,4 % quatre ans plus tĂŽt et 70 % dans les annĂ©es 1970, tout en sachant que les effectifs des Chantiers sont passĂ©s de 5167 en 2001 Ă  3090 en 2005. Par ailleurs, au sein mĂȘme de la catĂ©gorie des ouvriers, on note un rajeunissement de la population d’une part la moyenne d’ñge est de 40 ans en 2005, contre 48 ans, six ans plus tĂŽt15 et, d’autre part, une diversitĂ© plus grande des origines sociales et gĂ©ographiques qui a eu pour effet, notamment, de limiter le phĂ©nomĂšne des dynasties ouvriĂšres historiquement observĂ© aux Chantiers. Ces changements sont le fruit Ă  la fois de recrutements de nombreux jeunes en provenance de toute la France et du dĂ©part en prĂ©retraite des ouvriers exposĂ©s au cours de leur carriĂšre Ă  l’amiante16. Avec, au total, environ 2500 recrutements et 2000 dĂ©parts enregistrĂ©s entre 1998 et 2005, la physionomie de l’entreprise et de sa main d’Ɠuvre changent Ă©normĂ©ment durant ces annĂ©es, ce qui, on s’en doute, n’est pas sans produire des effets importants sur le groupe professionnel des mĂ©tallos. Comme nous le dĂ©veloppons plus loin dans l’analyse des rapports intergĂ©nĂ©rationnels au travail, on note en particulier combien le renouvellement de l’effectif ouvrier par la mobilisation des jeunes gĂ©nĂ©rations peut constituer un moyen essentiel de transformation de l’organisation du travail Flamant, 2005. Plus largement, ces changements Ă  la fois internes et externes via le recours massif Ă  la sous-traitance, française et Ă©trangĂšre Ă  l’entreprise posent un certain nombre de questions sur l’évolution du monde ouvrier, son organisation, son unitĂ©, ses modes d’action collective, etc. 2. La socialisation ouvriĂšre des mĂ©tallos entre mutation et permanence Le temps rĂ©volu d’une socialisation en dehors des murs » 11Les sociologues du travail ont longtemps pris comme unitĂ© de mesure de la socialisation ouvriĂšre l’atelier de production en analysant notamment tout ce que les anciens transmettaient aux nouveaux, qu’il s’agisse des savoir-faire professionnels, des instruments de lutte sociale ou encore des pratiques de rĂ©sistance vis-Ă -vis des consignes et des conditions de travail posĂ©es par les employeurs. Si, dans l’ensemble, tous ces aspects de la socialisation au travail ont Ă©tĂ© observĂ©s aux Chantiers, il y en a deux autres qui nous semblent relativement importants et qui ont plus rarement Ă©tĂ© mis en avant, peut-ĂȘtre parce qu’ils se construisent justement Ă  l’extĂ©rieur de l’univers productif Ă  proprement parler. Un premier aspect de cette socialisation du mĂ©tallo Ă  trait Ă  la socialisation primaire dans des familles oĂč un ou plusieurs membres pĂšre, fils, oncles, cousins travaillent ou ont travaillĂ© aux Chantiers. Une longue tradition aux Chantiers de l’Atlantique – qui perdure dans une certaine mesure jusqu’aux annĂ©es 1990 — consiste en effet Ă  recruter des enfants d’ouvriers dĂ©jĂ  liĂ©s et fidĂ©lisĂ©s Ă  l’entreprise. On suppose ici que la socialisation au travail a en partie Ă©tĂ© assurĂ©e dans le cadre familial. Une socialisation qui ne prend pas pour autant le visage de la fascination du fils pour le mĂ©tier de son pĂšre. Il est significatif en effet de noter combien cette reproduction sociale dans les familles ouvriĂšres de la navale ne s’est pas toujours rĂ©alisĂ©e aussi naturellement qu’on pourrait le croire. Un exemple avec Pierre, ancien chaudronnier, aujourd’hui prĂ©retraitĂ© amiante et membre d’une famille qui travaille aux Chantiers depuis quatre gĂ©nĂ©rations — Pourquoi ĂȘtes-vous entrer aux Chantiers ?—Y a pas de raisons trĂšs rĂ©flĂ©chies de faire ce choix lĂ , disons que, arrivĂ© au certificat d’études, les trois quarts des jeunes que nous Ă©tions, on allait soit Ă  l’aĂ©rospatiale, soit aux chantiers navals. On Ă©tait un peu prĂ©destinĂ© Ă  aller dans ces entreprises, y avait beaucoup de travail, c’était l’ordre naturel des choses quoi. Moi j’avais choisi une autre voie parce que mon pĂšre travaillant ici, le voyant rentrĂ© ici disons trĂšs trĂšs sale et fatiguĂ©, j’avais une image nĂ©gative des Chantiers et je voulais faire autre chose. C’est pour ça que je suis parti dans la marine. Un petit peu... pour pas rentrer aux Chantiers, c’est un peu, y a des contradictions partout mais lĂ ...— Et on vous retrouve aux Chantiers...— Et on me retrouve aux Chantiers...— Alors qu’est-ce qui s’est passĂ© pour que vous rentriez aux Chantiers ?— Ben quand j’ai quittĂ© la marine nationale j’avais la volontĂ© de revenir dans mon coin et c’était l’époque [1973] oĂč aux chantiers navals il y avait beaucoup de travail, j’ai fait une demande, et je suis rentrĂ©. » 12Cet exemple dĂ©voile le poids des structures objectives dans le processus de reproduction sociale au sein d’une famille d’ouvriers de la navale. Dans le cas prĂ©sent, on remarque que le pĂšre, dont nous livrons ici le tĂ©moignage, et son fils, actuellement salariĂ© aux Chantiers, ont une dĂ©marche en tous points identique. Au moment d’entrer dans la vie active, le pĂšre comme le fils ne veulent surtout pas travailler aux Chantiers. Ils en ont tous deux une mĂȘme image dĂ©valorisante vĂ©hiculĂ©e par leur pĂšre respectif. MalgrĂ© une tentative commune d’échappatoire en s’engageant dans l’armĂ©e, ils entrent pourtant tous deux aux Chantiers, et se rĂ©concilient par lĂ -mĂȘme avec ce destin social auquel ils pensent un moment pouvoir Ă©chapper. Aujourd’hui, leur discours est d’une voix ils ne regrettent rien. Au contraire, ils sont fiers de leur choix. Cette fiertĂ© d’appartenir au groupe des ouvriers de la navale est en quelque sorte la face positive de leur socialisation. Elle se construit dans un second temps, une fois que l’on est passĂ© du cĂŽtĂ© des ouvriers, de ceux qui Ɠuvrent et observent, non sans admiration, la beautĂ© et la dĂ©mesure du produit rĂ©alisĂ© On est dans un monde particulier, le chantier de l’Atlantique est chargĂ© d’histoire, dans tous les sens. Alors c’est vrai qu’on a le sentiment d’appartenir Ă  un monde particulier, c’est vrai. Les ouvriers des Chantiers sont sĂ»rement trĂšs diffĂ©rents de gens d’autres usines, de par leur histoire, de par les produits qui y sont fabriquĂ©s, de par les difficultĂ©s que reprĂ©sente la fabrication de ce produit, de par aussi le tempĂ©rament de l’homme. Y a un cĂŽtĂ© fiertĂ© dans la fabrication des paquebots. Je pense que les gens sont fiers de ce qu’ils font, globalement. Nous, ouvriers, on a fait ça, on fait partie des gens qui ont fait ça. Sans en tirer gloire on en tire une certaine fiertĂ©. » Pierre, ouvrier prĂ©retraitĂ©, 55 ans 17 Parmi ces rĂ©cits et recueils de photos, voir notamment les ouvrages mĂ©moriels Ă©ditĂ©s Ă  Nantes par l ... 13Si l’on veut suivre de nouveau la chronologie de cette socialisation ouvriĂšre, un second aspect mĂ©rite d’ĂȘtre soulignĂ© tant il transparaĂźt dans un certain nombre de rĂ©cits et d’archives traitant de la vie des Chantiers et du cĂ©lĂšbre terre-plein de PenhoĂ«t oĂč se rassemblent rĂ©guliĂšrement pour les grĂšves mais aussi Ă  chaque embauche et dĂ©bauche les ouvriers de la navale17. Il s’agit de ce que l’on pourrait nommer un effet de masse ». Dans les annĂ©es 1950–1960, ce sont plus de 10 000 travailleurs qui se rendent tous les jours aux Chantiers, les uns nazairiens ou proches de la ville en vĂ©lo, les autres retirĂ©s dans l’arriĂšre-pays par les Autocars de la BriĂšre. Les rĂ©cits et les photos qui nous ont Ă©tĂ© laissĂ©s de cette Ă©poque tĂ©moignent tous de cette impression de masse ouvriĂšre, oĂč les individus font corps, font bloc, et oĂč ils donnent l’image — qui au final semble ĂȘtre bien plus qu’une image — d’un groupe intĂ©grĂ©. Dans son autobiographie retraçant l’univers des Chantiers dans les annĂ©es 1950–1960, Louis Oury dĂ©crit ainsi le premier jour oĂč il se rend au travail La circulation devient de plus en plus difficile, je suis noyĂ© dans une foule de cyclistes, le boulevard est occupĂ© sur toute sa largeur. [...] BientĂŽt, je me trouve au centre d’une vaste place dont l’éclairage est incertain. Ça grouille de monde. Je sens un Ă©lan d’enthousiasme me traverser, j’ai l’impression de participer Ă  quelque chose de grandiose. Je fais corps avec cette masse qui m’entoure, c’est dans cet instant que je ressens la premiĂšre notion de solidaritĂ©, solidaire avec des inconnus, solidaire je ne sais pourquoi, solidaire sans doute parce que j’éprouve le sentiment d’ĂȘtre dans mon Ă©lĂ©ment, solidaire surtout parce que je pressens le contact avec une foule intĂšgre, avec des hommes dans toute l’acceptation du terme, mais plus encore, parce que je m’aperçois dans quel gouffre m’entraĂźnait mon individualisme rural lĂ©guĂ© par mes aĂŻeux dont l’horizon se limitait Ă  un champ de betteraves. » Oury, 2005, p. 46–47 14Le tĂ©moignage de l’auteur est intĂ©ressant en ce sens qu’il mobilise, pour dĂ©crire les premiers signes de l’appartenance au groupe ouvrier, un registre purement physique ĂȘtre plongĂ© au milieu d’une foule, c’est dĂ©jĂ , en quelque sorte, partager des attributs sociaux avec ceux qui la composent. De nos jours, la socialisation ouvriĂšre ne se construit plus ou dans une moindre mesure — car il reste toujours les grĂšves et dĂ©brayages pour se retrouver ensemble — dans cet effet de masse. Elle se rĂ©alise essentiellement par groupes de pairs, au sein des deux environnements de travail qui caractĂ©risent les Chantiers les ateliers et le bord », c’est-Ă -dire sur le navire en construction, entreposĂ© dans une cale. L’intĂ©gration au travail reproductions et rĂ©sistances de la part des nouvelles gĂ©nĂ©rations 15Quand un nouveau compagnon » arrive aux Chantiers, il est systĂ©matiquement matelotĂ© ». Le compagnon », c’est le nom que les ouvriers se donnent d’eux-mĂȘmes, ceci participant ainsi de l’identification et de la construction du groupe. Le matelot » dĂ©signe quant Ă  lui l’ouvrier avec lequel on va former un premier binĂŽme pour apprendre officiellement le mĂ©tier, mais aussi et surtout officieusement les ficelles du mĂ©tier dont font partie toutes les techniques de freinage et de contrĂŽle du travail. Aux Chantiers RĂ©ault, 1991 comme dans bien d’autres mondes ouvriers Brochier, 2006 ; Pialoux, 1996, un des enjeux essentiels de la socialisation professionnelle rĂ©side en effet dans la maĂźtrise relative du rythme et des conditions de travail assignĂ©s par la direction. 16Si l’apprentissage des formes de contrĂŽle du travail constitue un premier Ă©lĂ©ment de la socialisation ouvriĂšre, la capacitĂ© des nouvelles recrues Ă  endurer les rudes conditions de travail qui caractĂ©risent la construction navale opĂšre, en mĂȘme temps et de maniĂšre relativement paradoxale, tel un vĂ©ritable rite de passage. Nos observations rejoignent en ce sens celles de Christian Papinot lorsque celui-ci note Ă  la fois l’importance et l’ambivalence que revĂȘt l’effort au travail dans la culture professionnelle des mĂ©tallos de la navale militaire de Brest Dans ce modĂšle ouvrier masculin traditionnel mettant en avant le primat du travail, la valorisation se gagne aussi par l’aptitude Ă  la dĂ©pense physique. Le rapport aux conditions de travail est d’ailleurs Ă  cet Ă©gard assez ambivalent. RĂ©guliĂšrement dĂ©noncĂ©e, la pĂ©nibilitĂ© alimente aussi la construction et la lĂ©gitimation de cette culture agonistique » Papinot, 2010, p. 261. Le fait de supporter individuellement la pĂ©nibilitĂ© du travail d’abord, puis de la partager ensuite avec les collĂšgues par le jeu des solidaritĂ©s productives, participe fortement de l’intĂ©gration au groupe ouvrier. 18 Citons, Ă  titre d’exemple, quelques sobriquets relevĂ©s dans les diffĂ©rents tĂ©moignages recueillis ... 17La duretĂ© des conditions de travail a longtemps Ă©tĂ© doublĂ©e d’une duretĂ© des rapports sociaux entre ouvriers et plus particuliĂšrement entre anciens et nouveaux Oury, 2005. Ainsi, la relation de l’ouvrier Ă  son matelot est bien souvent ambivalente. Elle peut prendre la forme d’un parrainage dans certains cas ou d’un bizutage dans d’autres. Nombreux sont les ouvriers appartenant Ă  la gĂ©nĂ©ration entrĂ©e aux Chantiers dans les annĂ©es 1970 qui ont un souvenir douloureux de leur matelotage ». Salaud », infecte », mĂ©chant » sont des qualificatifs couramment utilisĂ©s pour dĂ©crire la mentalitĂ© » de l’époque, les abus de pouvoir de certains ouvriers en place, proches du chef d’atelier, et qui prenaient bien souvent les jeunes pousses » comme des larbins » plutĂŽt que des semblables. On est loin d’une image peut ĂȘtre trop idĂ©alisĂ©e de l’unitĂ© du groupe ouvrier. Les rapports intergĂ©nĂ©rationnels au sein de ce groupe se construisent ainsi pour une bonne part sous la forme de bizutages et autres rites de passage. Certaines de ces pratiques sont plutĂŽt bon enfant. Par exemple, l’attribution d’un sobriquet, gratifiant ou non, aux nouveaux venus tĂ©moigne davantage de l’intĂ©gration des individus au groupe professionnel que d’une forme dĂ©libĂ©rĂ©e de moquerie18. Si l’usage des surnoms a quasiment disparu, d’autres pratiques mĂȘlant travail et humour et participant directement de la socialisation ouvriĂšre ont perdurĂ© — Aux Chantiers y a toujours les petites blagues... qu’ont pas marchĂ© avec moi. Y a des gens de ma famille qui sont passĂ©s avant moi donc les blagues on les connaĂźt. Mais rien de mĂ©chant, c’est des plaisanteries aller chercher un trousquin Ă  roulettes au magasin ou... enfin un outil qui n’existe pas. Et lĂ  on peut ĂȘtre sĂ»r qu’arrivĂ© au magasin “ben j’en ai plus, il faut que tu ailles Ă  l’autre magasin lĂ -bas.”— Oui, il y a une espĂšce de code...— Ouais, tout le monde connaĂźt. Et mĂȘme nous aprĂšs, quand on voit quelqu’un qui arrive, on lui fait le coup rires ! » FrĂ©dĂ©ric, 29 ans, charpentier-fer 19 Des embauches qui sont directement liĂ©es aux 17 commandes de paquebots Ă  livrer entre 1998 et 2005. ... 18Si, de nos jours, les rapports entre gĂ©nĂ©rations peuvent encore ĂȘtre parfois difficiles, ils semblent s’ĂȘtre pacifiĂ©s. D’abord, les anciens et notamment les vieux BriĂ©rons », qualifiĂ©s unanimement de tĂȘtes de cochons », ne sont plus guĂšre reprĂ©sentĂ©s dans le groupe ouvrier. Ensuite, beaucoup de jeunes salariĂ©s embauchĂ©s vers la fin des annĂ©es 1990 Ă©voquent, dans leurs tĂ©moignages, l’accueil chaleureux dont ils ont bĂ©nĂ©ficiĂ© Ă  leur arrivĂ©e car cela faisait longtemps qu’il n’y avait pas eu d’embauches aux Chantiers19. Leur arrivĂ©e Ă©tait donc un signe rassurant sur la santĂ© Ă©conomique de l’entreprise. Enfin, et c’est un avis partagĂ© aussi bien par les intĂ©ressĂ©s que par les gĂ©nĂ©rations plus ĂągĂ©es, les jeunes semblent se montrer beaucoup moins dociles et moins impressionnĂ©s par leurs aĂŻeux que ne l’était la jeunesse ouvriĂšre dans les annĂ©es 1970, laquelle ressentait un sentiment ambivalent de peur et de respect vis-Ă -vis des anciens. On peut expliquer en partie ces diffĂ©rences d’attitudes des jeunes vis-Ă -vis des gĂ©nĂ©rations plus ĂągĂ©es par la transformation des cadres de socialisation contrairement Ă  la gĂ©nĂ©ration de leurs enfants, les ouvriers des annĂ©es 1970 ont Ă©tĂ© socialisĂ©s dans le monde rural au sein duquel les rapports de pouvoir Ă©taient largement organisĂ©s autour de la figure autoritaire du patriarche. 20 Cet impĂ©ratif de lutte et de solidaritĂ© concerne, ici aussi, les ouvriers permanents, en opposition ... 19Cette prise de distance avec les anciens, considĂ©rĂ©s Ă  juste titre comme les dĂ©tenteurs de la culture ouvriĂšre des Chantiers, est d’autant plus prononcĂ©e que les jeunes ouvriers ont connu une expĂ©rience professionnelle relativement significative entre trois et dix ans selon les cas dans d’autres entreprises, souvent moins bien dotĂ©es en termes d’instruments de protection des salariĂ©s prĂ©sence de syndicats, de comitĂ©s d’entreprise, couverture sociale, avantages sociaux, etc.. Les jeunes qui appartiennent Ă  cette catĂ©gorie de salariĂ©s sont nombreux Ă  estimer qu’il ne faut pas pousser le bouchon trop loin » et qu’à force de jouer le jeu du freinage dans la production, on joue peut-ĂȘtre avec le feu Les compagnons qui refusent de jouer le jeu de la performance, ils mettent en pĂ©ril leur propre moyen de vie. Les Chantiers peuvent fermer ! » dĂ©plore ainsi un jeune trentenaire qui a travaillĂ© plus de dix ans chez un sous-traitant prĂ©sent sur le site. Un autre rĂ©vĂ©lateur important sinon capital de cette prise de distance avec la culture ouvriĂšre rĂ©side dans le refus de suivre systĂ©matiquement les mouvements de grĂšve ou de dĂ©brayage. Ce qui a Ă©tĂ© observĂ© par StĂ©phane Beaud et Michel Pialoux aux usines Peugeot de Sochaux-MontbĂ©liard l’est tout autant aux Chantiers Beaud et Pialoux, 1999. La participation aux mouvements sociaux est un Ă©lĂ©ment dĂ©terminant de la socialisation ouvriĂšre, de l’appartenance au groupe des vrais ouvriers », solidaires et militants par essence20 La grĂšve est un moment de vĂ©ritĂ©, on est dans un camp ou dans un autre. Dire de quelqu’un qu’il est “grĂ©viste” dans le cours habituel de la conversation hors de tout contexte de grĂšve, est une maniĂšre de faire comprendre qu’il est insĂ©rĂ© dans la culture politique du groupe mĂȘme si par ailleurs il n’est ni militant ni syndiquĂ©, qu’il appartient au groupe des ouvriers qui ne sont pas du cĂŽtĂ© du patron. Une rĂ©probation trĂšs forte s’exerce, mĂȘme deux ou trois ans aprĂšs, vis-Ă -vis de ceux qui n’ont Ă  aucun moment fait grĂšve. » Beaud et Pialoux, 1998 p. 496–497 20StĂ©phane, ĂągĂ© de 29 ans et soudeur aux Chantiers depuis l’ñge de 25 ans, donne un exemple de cette rĂ©probation telle qu’elle peut s’exprimer encore aujourd’hui dans son atelier, et dĂ©crit en pointillĂ© le code d’honneur de l’ouvrier modal J’en connais un qui est vraiment individuel, Ă  la limite il parle que pour lui, et lui on l’aidera pas s’il lui arrive un truc parce qu’on dira “Tiens, il l’a un peu cherchĂ©â€. Quand il y a un dĂ©brayage il reste tout le temps, mĂȘme quand ça le concerne. Il dit “Non, moi je pense qu’à moi”. Il le dit ouvertement “Moi je pense Ă  moi, si je dĂ©braye ça fait ça de moins Ă  la fin du mois”. On lui dit “Mais des fois faut le faire, pour en gagner plus”. Parce que les gens qui dĂ©brayent pas, si nous on sort et on a gain de cause, ben ils ont gain de cause aussi. Ils ont tout Ă  gagner en restant, et en mĂȘme temps ils font bien devant le chef. Donc les gens qui dĂ©brayent sont plus solidaires entre eux, et ceux qui restent c’est des personnes qui vivent que pour eux. Donc on n’aidera pas quelqu’un qui... Alors que si quelqu’un qui dĂ©braye tout le temps, il lui arrive un truc, et bien on peut faire un dĂ©brayage [pour le dĂ©fendre], sauf si c’est du zĂšle, quand il a fait un truc qu’est vraiment pas dĂ©fendable. » 21Se solidariser avec les uns revient, de maniĂšre mĂ©canique, Ă  se dĂ©solidariser avec les autres. Ainsi se forment et se dĂ©forment les groupes d’appartenance au sein du monde ouvrier. Dans le mĂȘme ordre d’idĂ©es, l’appartenance au groupe professionnel suppose chez bien des ouvriers de refuser toute mobilitĂ© sociale au sein de l’entreprise. Gravir les Ă©chelons dans la chaĂźne de production revient Ă  s’éloigner des siens, tandis que passer dans la maĂźtrise est tout simplement perçu comme un acte de traĂźtrise... 3. L’évolution des rapports de travail Des rapports verticaux plus impersonnels et davantage orientĂ©s vers des fins productivistes 21 Si les relations nouĂ©es Ă  l’extĂ©rieur de l’entreprise dĂ©terminaient en partie les relations interne ... 22 À l’inverse, les affiliations syndicales des ouvriers avaient plutĂŽt pour effet de crĂ©er de la dist ... 22Comme nous l’indiquions en introduction, l’évolution des rapports de travail horizontaux et verticaux aux Chantiers recoupe pour une bonne part l’évolution des rapports intergĂ©nĂ©rationnels. Ceci est particuliĂšrement vrai pour ce qui concerne les relations du groupe ouvrier Ă  sa hiĂ©rarchie directe. Dans les annĂ©es 1950 Ă  1970, Ă©poque Ă  laquelle les Chantiers recrutent massivement sa main d’Ɠuvre dans l’aire locale, les relations verticales sont dans bien des cas doublĂ©es de relations amicales ou familiales. De ce fait, les relations avec la hiĂ©rarchie sont relativement inĂ©gales selon les affiliations et les affinitĂ©s dont peuvent se rĂ©clamer les ouvriers. Les affiliations de type clanique ĂȘtre BriĂ©ron quand le chef Ă©tait lui-mĂȘme BriĂ©ron et familial ĂȘtre parent d’un contremaĂźtre ou d’un agent de maĂźtrise sont particuliĂšrement opĂ©rantes dans ce rapprochement entre ouvriers et supĂ©rieurs hiĂ©rarchiques21. Les galons et autres primes sont ainsi plus facilement obtenus par les ouvriers insĂ©rĂ©s dans ce type de relations Bigaud, 199122. Aujourd’hui, les rapports verticaux ne sont quasiment plus traversĂ©s par toutes ces affinitĂ©s et par tous ces liens. Ils rĂ©pondent davantage aux impĂ©ratifs de productivitĂ© qui incombent Ă  l’entreprise. À l’image des entretiens personnalisĂ©s d’objectifs EPO conduits tous les ans, les ouvriers sont dĂ©sormais Ă©valuĂ©s de maniĂšre objective pour la qualitĂ© de leur travail et leurs perspectives de progression dans l’entreprise, lĂ  oĂč dans les annĂ©es 1960–1970 les apprĂ©ciations subjectives et arbitraires allaient bon train en fonction de la qualitĂ© des relations entre ouvriers et petits chefs ». On peut dire, en un sens, que nous sommes passĂ©s d’une passion hiĂ©rarchique » MouliniĂ©, 1993 Ă  une logique davantage fondĂ©e sur la raison. 23On observe Ă©galement que ce sont ces mĂȘmes impĂ©ratifs de productivitĂ© et de performance Ă©conomique qui expliquent la nouvelle politique salariale vis-Ă -vis des anciens ouvriers, peu ou en tout cas moins productifs en fin de carriĂšre. Dans les annĂ©es 1950 Ă  1970, ces ouvriers Ă©taient placĂ©s Ă  des postes moins Ă©prouvants comme magasinier par exemple ou encore passaient du statut d’ouvrier qualifiĂ© Ă  celui d’OS, mais sans perte systĂ©matique de salaire. De mĂȘme, dans les relations de travail, ces ouvriers ĂągĂ©s Ă©taient largement mĂ©nagĂ©s par leurs homologues plus jeunes et par leurs supĂ©rieurs hiĂ©rarchiques. À partir des annĂ©es 1980 et surtout 1990 se sont dĂ©veloppĂ©s les dĂ©parts en prĂ©retraite et notamment pour amiante » au cours de la derniĂšre dĂ©cennie, ce qui a permis Ă  l’entreprise de se passer plus facilement de cette main d’Ɠuvre. Comme le souligne Jean-Marie Pernot 2008, p. 34 La direction des Chantiers a d’ailleurs jouĂ© habilement du curseur pour l’étalement des dĂ©parts. Dans un premier temps, elle a soutenu que les ouvriers avaient cessĂ© d’ĂȘtre exposĂ©s Ă  l’amiante en 1992, ce qui a autorisĂ© 900 dĂ©parts amiantes en 1999–2000. Puis, arrivĂ© le creux de charge post 2003, elle a reconnu la possibilitĂ© que l’exposition Ă  l’amiante ait pu se poursuivre jusqu’en 1998, autorisant 1100 nouveaux dĂ©parts en 2005 ». 24Plus impersonnels, les rapports verticaux se construisent aussi pour une bonne part autour d’une lutte entre gĂ©nĂ©rations pour la maĂźtrise du savoir-faire professionnel. Nombreux sont les mĂ©tallos proches de la retraite ou retraitĂ©s depuis peu qui tĂ©moignent de l’émergence, au cours de ces derniĂšres annĂ©es, de problĂšmes relationnels avec leurs supĂ©rieurs hiĂ©rarchiques, en l’occurrence de jeunes ingĂ©nieurs sortis tout droit de l’école ». Cette lutte autour de la maĂźtrise du savoir-faire mĂ©tallo oppose les anciens ouvriers expĂ©rimentĂ©s aux jeunes ingĂ©nieurs fraĂźchement diplĂŽmĂ©s, les dĂ©tenteurs du savoir-faire pratique aux dĂ©tenteurs de la thĂ©orie. Lorsque les seconds demandent aux premiers d’adapter leurs mĂ©thodes de travail aux changements techniques et organisationnels de l’activitĂ© de construction navale, les premiers se sentent bien souvent dĂ©qualifiĂ©s, humiliĂ©s, dĂ©possĂ©dĂ©s de leur savoir-faire sur lequel repose toute leur fiertĂ© d’ouvrier de la navale 23 On trouvera des exemples actualisĂ©s de ce sentiment d’humiliation et d’infantilisation vĂ©cu par les ... On a l’habitude de faire comme ça. “Ah oui mais c’est une mauvaise habitude” [rĂ©pond le jeune ingĂ©nieur]. Nous, on avait pas 50 solutions pour transporter des blocs comme on faisait lĂ . Eux ils voulaient nous faire voir qu’ils avaient de la thĂ©orie. La thĂ©orie, la thĂ©orie oui c’est beau la thĂ©orie, nous aussi on en avait de la thĂ©orie, mais plus de pratique. Sinon, dans ces cas lĂ , depuis 33 ans que je suis lĂ -dedans, si c’est maintenant qu’on s’aperçoit que je suis un bon Ă  rien y a un malaise quelque part ! Je sais pas oĂč il est mais y a quelque chose qui dĂ©conne ! Fallait me le dire avant ! AprĂšs ils nous disent qu’on est incommandable. Ben le gars qui est incommandable c’est qu’il connaĂźt son boulot ! » Louis, 62 ans, ouvrier retraitĂ©23 25D’une maniĂšre gĂ©nĂ©rale, et on en comprend aisĂ©ment les raisons, les jeunes sont plus enclins que les anciens Ă  respecter de nouvelles consignes de travail. Au vu de ce que nous avons dit prĂ©cĂ©demment de la socialisation ouvriĂšre et des enjeux, qui lui sont liĂ©s, d’unitĂ© et de cohĂ©sion du groupe, on devine aussi que ces diffĂ©rences de perceptions et d’attitudes entre gĂ©nĂ©rations ne sont pas sans produire des effets sur la qualitĂ© des relations horizontales. L’évolution rĂ©cente des rapports de travail au sein de ce groupe est dĂ©terminĂ©e par deux principaux facteurs qui sont en partie liĂ©s. On retrouve, en premier lieu, les changements organisationnels survenus avec la prise de fonction de la nouvelle direction en 1997 et, en second lieu, la transformation des rapports intergĂ©nĂ©rationnels. Ces rapports horizontaux peuvent ĂȘtre analysĂ©s sur deux plans celui, tout d’abord, de la relation entre ouvriers de l’entreprise donneuse d’ordres et ouvriers de la sous-traitance ; celui, ensuite, de la relation nouĂ©e entre les seuls ouvriers des Chantiers. Des rapports horizontaux sous-tendus par les diffĂ©rences statutaires entre ouvriers des Chantiers et ouvriers de la sous-traitance 24 Ce recours massif Ă  une main d’Ɠuvre Ă©trangĂšre et bon marchĂ© ne se fera pas sans quelques entorses ... 26Le plan CAP 21, mis en place Ă  partir de 1998, a reposĂ© en grande partie sur le dĂ©veloppement de la sous-traitance dans le groupe ouvrier. Longtemps structurĂ©s par corps de mĂ©tiers, les rapports de travail entre mĂ©tallos se sont de plus en plus organisĂ©s autour du statut avec, d’un cĂŽtĂ©, les ouvriers des Chantiers, majoritairement sous CDI et bĂ©nĂ©ficiant d’un certain nombre d’acquis sociaux treiziĂšme mois, primes, implantation syndicale, mutuelle avantageuse, etc., et de l’autre, les ouvriers de la sous-traitance, dont certains sont en CDI et notamment en CDI de chantiers », contrats dits de durĂ©e indĂ©terminĂ©e mais qui, dans les faits, sont liĂ©s Ă  la durĂ©e du contrat commercial, d’autres en CDD, et beaucoup en intĂ©rim. À cette multiplication des statuts s’ajoute aussi la multiplication des figures du mĂ©tallo avec, en particulier, l’arrivĂ©e vers la fin des annĂ©es 1990 de femmes dans des mĂ©tiers que l’on croyait jusqu’alors rĂ©servĂ©s aux hommes, ainsi que de travailleurs Ă©trangers, notamment lors de la construction du Queen Mary II pour laquelle la direction des Chantiers avait favorisĂ©, selon une note interne interceptĂ©e par la CGT, les montages exotiques » dans la sous-traitance sous-entendu le recrutement d’ouvriers spĂ©cialisĂ©s en provenance de pays Ă  bas salaires. En 2003, on comptait environ 1100 salariĂ©s Ă©trangers indiens, roumains, polonais, slovĂšnes, grecs, croates... dans les entreprises sous-traitantes, soit prĂšs de 20 % de l’ensemble de l’effectif salariĂ©24. 27Cette multiplication des statuts du point de vue de l’emploi, de la nationalitĂ©, du genre autour de la figure de l’ouvrier de la navale a pour effet de fragiliser le collectif de travail. Beaucoup d’ouvriers permanents des Chantiers pensent qu’avec le recours massif aux intĂ©rimaires français comme Ă©trangers, c’est un savoir-faire qui se dĂ©lite Le travail fout le camp », se lamentent ainsi les mĂ©tallos les plus attachĂ©s Ă  la sauvegarde de leur outil de travail. Quand un atelier est vendu Ă  la sous-traitance », les ouvriers en voie de mutation conjuguent un sentiment d’amertume liĂ© Ă  l’abandon de leur activitĂ©, et une inquiĂ©tude manifeste quant Ă  la progression de ces transferts de compĂ©tences vers la sous-traitance, qui plus est lorsqu’il s’agit de sous-traitants Ă©trangers, accusĂ©s de piquer les emplois » et de bĂącler le travail, les travailleurs Ă©trangers percevant en retour les ouvriers des Chantiers comme privilĂ©giĂ©s » et feignants » Seiller, 2010a. Tout en travaillant les uns Ă  cĂŽtĂ© des autres, les relations de travail entre ouvriers des Chantiers et ouvriers de la sous-traitance et les liens que ces relations supportent s’en trouvent modifiĂ©s. La sous-traitance transforme les reprĂ©sentations de la solidaritĂ© qui ne peuvent plus s’appuyer sur une communautĂ© statutaire ou simplement professionnelle. L’extension de la sous-traitance est perçue comme une amputation qui conduit Ă  la dissolution des groupes centraux sur lesquels s’appuyait le syndicat » Pernot, 2008, p. 42. C’est aussi pour lutter contre cet Ă©clatement du groupe ouvrier que la CGT a créé en 1999 l’Union syndicale multiprofessionnelle USM sur le site des chantiers, l’objectif Ă©tant de retrouver une certaine unitĂ© du groupe ouvrier de la navale avec, en particulier, la crĂ©ation d’un statut unique fondĂ© sur l’emploi en CDI en s’appuyant pour cela sur l’ensemble des syndicats prĂ©sents sur le site syndicats des intĂ©rimaires, des sous-traitants et de l’entreprise donneuse d’ordres. Pour autant, les effets escomptĂ©s semblent bien difficiles Ă  obtenir Fribourg, 2003 ; Pernot, 2008. L’USM rencontre de rĂ©elles difficultĂ©s dans son action car les diffĂ©rences statutaires entre ouvriers permanents et ouvriers prĂ©caires » altĂšrent profondĂ©ment la notion d’intĂ©rĂȘts communs qui est aux fondements de l’action syndicale, les salariĂ©s les plus protĂ©gĂ©s craignant un nivellement par le bas de leur niveau de droits et de protection. 28Dans la mesure oĂč les jeunes sont surreprĂ©sentĂ©s dans les effectifs intĂ©rimaires, les lignes de dĂ©marcation au sein du groupe mĂ©tallo peuvent Ă©galement ĂȘtre vĂ©cues comme des tensions intergĂ©nĂ©rationnelles. Il est courant d’entendre les ouvriers des Chantiers dire que les jeunes salariĂ©s des entreprises sous-traitantes sont moins qualifiĂ©s. Pris dans le jeu de la sous-traitance dĂ©lais de production, rapport qualitĂ©/prix, fort turnover, etc., ils auraient pris de mauvaises habitudes de travail La construction navale, c’est quand mĂȘme assez technique, il faut garder le savoir, le savoir faire et le dĂ©velopper. J’ai rien contre les salariĂ©s de la sous-traitance mais ils sont moins formĂ©s, ils ne connaissent pas ; les entreprises prennent des jeunes mais ils ne sont pas accompagnĂ©s. Cž a gĂ©nĂšre des problĂšmes en terme de qualitĂ©, de dĂ©lais, de sĂ©curitĂ© au travail. » Pernot, 2008, p. 43 25 On retrouve ces mĂȘmes observations dans les travaux de Christian Papinot 2010 sur les rapports de ... 29Au-delĂ  de quelques cas manifestes, cette affirmation qui tend Ă  dĂ©qualifier systĂ©matiquement le travail des jeunes intĂ©rimaires est largement contestable dans la mesure oĂč ces derniers sont, dans l’ensemble, tout aussi qualifiĂ©s que les ouvriers de l’entreprise donneuse d’ordres. Il semble bien, en rĂ©alitĂ©, que ce n’est pas tant la qualitĂ© du travail qui est remise en cause ici que la division du travail dans laquelle s’inscrit le recours Ă  l’intĂ©rim, Ă  savoir l’extension de la sous-traitance Pernot, 2008. Bien malgrĂ© eux, les jeunes intĂ©rimaires symbolisent ainsi — Ă  tort peut-ĂȘtre plus souvent qu’à raison — la perte progressive d’un savoir-faire professionnel, oĂč le rapport Ă  la matiĂšre, l’application et l’investissement des ouvriers dans leur travail avaient toute leur importance25. On est en train de faire des bateaux comme on fait des voitures », dĂ©plore ainsi un ouvrier des Chantiers, qui regrette que le mĂ©tier de mĂ©tallo soit sacrifiĂ© sur l’autel des impĂ©ratifs de rentabilitĂ© Ă©conomique. Plus que le mĂ©tier, c’est davantage l’emploi de mĂ©tallo — au sens d’un emploi protĂ©gĂ© et garanti dans la durĂ©e — qui semble donc ĂȘtre menacĂ© sous l’effet de la progression de la sous-traitance. Qu’il s’agisse du travail en Ă©quipes autonomes rĂ©alisĂ© par des compagnons » des Chantiers ou du travail rĂ©alisĂ© par des intĂ©rimaires appartenant aux entreprises sous-traitantes, la qualitĂ© reste une prioritĂ© Ă  laquelle il est de toute maniĂšre bien difficile de dĂ©roger La surveillance de l’armateur est constante des reprĂ©sentants de celui-ci passent rĂ©guliĂšrement et contrĂŽlent Ă  la fois l’avancement et la qualitĂ© du travail rĂ©alisĂ©. Les remarques faites aux ouvriers sont prises en compte par ceux-ci de maniĂšre Ă  augmenter la qualitĂ©. » Gelabart, 2001 30Si les attitudes au travail des ouvriers permanents et des intĂ©rimaires ne sont donc pas aussi contrastĂ©es qu’on peut parfois l’entendre dire, il faut bien reconnaĂźtre, cependant, que le statut de permanent va plus souvent de pair avec une certaine appropriation du travail et de sa qualitĂ© Gelabart, 2001. La fragilisation du collectif ouvrier des Chantiers un effet conjoint de la transformation des rapports intergĂ©nĂ©rationnels et du nouveau management de l’entreprise 31Si l’on regarde Ă  prĂ©sent les seules relations entre ouvriers des Chantiers de l’Atlantique, on s’aperçoit que celles-ci ont Ă©galement connu de profondes transformations sous l’effet des rĂ©organisations mises en Ɠuvre Ă  la fin des annĂ©es 1990. En particulier, la mise en place des 35 heures Ă  partir de novembre 1999 modifie sensiblement le cadre des sociabilitĂ©s ouvriĂšres. Le principe directeur de cette mise en Ɠuvre est de rĂ©duire le temps de prĂ©sence sur le lieu de travail sans rĂ©duire le temps de production. Il s’agit, autrement dit, de supprimer tous les temps morts qui, jusqu’alors, sont comptabilisĂ©s dans le temps de travail. Ainsi, au lieu d’avoir un grand restaurant, un vestiaire central et un service de bus destinĂ© Ă  acheminer les ouvriers sur leur lieu de travail, le site est dĂ©sormais composĂ© de 11 restaurants, 12 vestiaires et huit parkings, ce qui a permis, d’un point de vue organisationnel, des gains de temps significatifs. Mais si les temps morts le sont d’un point de vue productif, ils ne le sont pas, loin de lĂ , du point de vue du collectif ouvrier qui, pour exister, s’appuit trĂšs largement sur ces temps de rassemblement. Ceux-ci se voient de nouveau amputĂ©s par la suppression de l’embauche Ă  heure fixe au profit des horaires dĂ©calĂ©s travail en 2 × 8, en 3 × 8, en VSD [vendredi/samedi/dimanche], ce nouveau modĂšle organisationnel ayant contribuĂ© pour partie Ă  atomiser le groupe ouvrier en dĂ©finissant et en dĂ©limitant des Ă©quipes de travail dans l’espace et le temps. En rĂ©duisant de la sorte les lieux et les temps de sociabilitĂ© dans le monde ouvrier, la direction des Chantiers semble ĂȘtre parvenue Ă  rĂ©pondre simultanĂ©ment Ă  deux de ses objectifs accroĂźtre la productivitĂ© du travail et casser » un peu cette culture de lutte ouvriĂšre, si rĂ©putĂ©e Ă  Saint-Nazaire. Comme l’illustre le tĂ©moignage suivant d’un responsable de la CGT, ces changements organisationnels ont largement interpellĂ© les pratiques syndicales Les distributions de tracts, la difficultĂ©, c’est 11 entrĂ©es sur le site, avec des horaires complĂštement Ă©clatĂ©s les gars entrent Ă  6 heures, 7 heures, 8 heures. Avec les heures de dĂ©lĂ©gation qu’on a, comment faire ? Se rĂ©partir les accĂšs, ĂȘtre lĂ  tout le temps ? Impossible. » Pernot, 2008, p. 31 32Encore une fois, les transformations induites par le passage aux 35 heures ne sont pas perçues de la mĂȘme maniĂšre par les anciens et par les jeunes. À l’inverse des premiers, les seconds ont compris que cette nouvelle organisation rĂ©pondait aussi Ă  des enjeux de modernisation du site. InspirĂ© des nouvelles doctrines de management caractĂ©ristiques du capitalisme moderne Boltanski et Chiapello, 1999, le discours patronal pointant les impĂ©ratifs de productivitĂ© sans lesquels les Chantiers ne pourraient guĂšre survivre au cours des prochaines annĂ©es produit manifestement des effets sur les plus jeunes salariĂ©s qui sont Ă  la recherche de certaines garanties quant Ă  la pĂ©rennitĂ© de leur emploi. Bien que titulaires d’un CDI, ils savent pertinemment que si les Chantiers n’ont plus de commandes, ils risquent le licenciement Ă©conomique. Lorsque les reprĂ©sentations du travail et de l’emploi diffĂšrent ainsi d’une gĂ©nĂ©ration Ă  l’autre, cela se traduit bien souvent par des incomprĂ©hensions rĂ©ciproques. Les plus ĂągĂ©s dĂ©plorent en particulier le manque de culture politique des plus jeunes Les jeunes ne sont pas dans la mĂȘme dĂ©marche que les anciens, il n’y a plus le mĂȘme esprit de camaraderie, ils sont moins posĂ©s dans leurs revendications, ils sont plus exigeants mais ils n’ont pas le sens de l’organisation collective qu’avaient les anciens. » Syndicaliste CGT 33Les jeunes de leur cĂŽtĂ©, du fait notamment d’une frĂ©quentation prolongĂ©e de l’école, se reconnaissent de moins en moins dans cette culture ouvriĂšre et dans la condition sociale qui lui est associĂ©e Beaud et Pialoux, 1999 ; Misset, 2009. Beaucoup d’entre eux aspirent au contraire Ă  quitter le bleu » un jour ou l’autre. Si, sous l’effet d’un mouvement continu et rapide de stabilisation professionnelle, rĂ©sidentielle et Ă©conomique, l’échappĂ©e de classe » vers les classes moyennes salariales Ă©tait objectivement pensĂ©e et envisagĂ©e du point de vue du groupe ouvrier dans son ensemble au sortir des Trente Glorieuses Verret, 1979, 1982 ; Molinari, 1997, elle semble davantage caractĂ©riser aujourd’hui une trajectoire d’ascension sociale individuelle, l’enjeu pour Ego Ă©tant prĂ©cisĂ©ment de s’extraire d’une classe ouvriĂšre en panne d’ascension depuis les annĂ©es 1980 Verret, 1995. 34Si, compte tenu de ces Ă©carts de conscience de classe et de mobilisation politique, jeunes et anciens ouvriers ne parviennent pas toujours Ă  s’entendre, certains Ă©vĂ©nements propres aux relations de travail peuvent en revanche les rapprocher. En premier lieu, la duretĂ© des conditions de travail dans la construction navale est telle que, nĂ©cessairement, des solidaritĂ©s productives se mettent en place dans le groupe ouvrier, lui-mĂȘme Ă©tant gĂ©nĂ©ralement organisĂ© en binĂŽmes ou en Ă©quipe de plusieurs personnes. Les solidaritĂ©s horizontales s’expriment Ă©galement trĂšs souvent dans un rapport frontal Ă  la hiĂ©rarchie. Certains jeunes ont pu ainsi ĂȘtre agrĂ©ablement surpris de voir des anciens, avec qui ils n’avaient a priori aucune affinitĂ© sinon de l’animositĂ©, venir Ă  leur aide lorsque par exemple un ingĂ©nieur remettait en question la qualitĂ© de leur travail. Dans ce cas de figure, les rapports de classe l’emportent donc sur les rapports de gĂ©nĂ©ration qui, une fois l’incident clos, pourront de nouveau s’imposer dans les relations de travail. La logique est un peu la mĂȘme concernant la participation des jeunes aux mouvements sociaux. Ces derniers ne reproduisent peut-ĂȘtre pas Ă  l’identique les modes d’adhĂ©sion et de lutte de leurs aĂŻeux, mais ils savent, Ă  leur maniĂšre et quand cela est nĂ©cessaire, dĂ©fendre les intĂ©rĂȘts non pas de la classe ouvriĂšre dans laquelle ils se reconnaissent assez peu, mais du groupe professionnel dans lequel ils sont insĂ©rĂ©s. 4. Conclusion 35La perspective tri-gĂ©nĂ©rationnelle dĂ©veloppĂ©e dans le cadre de cette enquĂȘte permet de bien situer les mutations rĂ©centes de la socialisation professionnelle et des rapports de travail aux Chantiers de l’Atlantique. La transformation de la structure de l’emploi et de l’organisation du travail dans le secteur industriel de la construction navale constitue une grille de lecture particuliĂšrement heuristique pour comprendre les fondements de ces mutations, mutations qui sont elles-mĂȘmes aux principaux fondements de la construction sociale des trois gĂ©nĂ©rations ouvriĂšres ainsi observĂ©es. 36Cette relation dynamique entre modes diffĂ©renciĂ©s de socialisation professionnelle et mode d’engendrement de gĂ©nĂ©ration ouvriĂšre est plus particuliĂšrement prononcĂ©e pour la derniĂšre gĂ©nĂ©ration. Le rapport des jeunes mĂ©tallos au travail, Ă  l’emploi et au groupe professionnel ne peut se comprendre en effet sans prendre en compte les nombreux changements statutaires et organisationnels qui ont affectĂ© ces derniĂšres annĂ©es l’exercice du mĂ©tier de mĂ©tallo ainsi que certaines des sociabilitĂ©s qui lui Ă©taient liĂ©es. InterpellĂ©s par ces diffĂ©rentes transformations qui ont contribuĂ© Ă  la fragilisation du collectif de travail, les anciens parviennent encore dans une certaine mesure Ă  jouer les passeurs » de la culture ouvriĂšre, qu’il s’agisse de la reproduction de certaines formes de rĂ©sistances au travail ou de luttes plus visibles grĂšves, dĂ©brayages, syndicats de site, etc. destinĂ©es Ă  dĂ©fendre les intĂ©rĂȘts et autres acquis du groupe professionnel. Conscients, malgrĂ© tout, que les rĂšgles du jeu ont changĂ© avec, en particulier, la progression inĂ©luctable de la sous-traitance et des formes particuliĂšres d’emploi ou encore le faible taux de syndicalisation des jeunes ouvriers, l’enjeu pour ces dĂ©tenteurs et dĂ©fenseurs de la culture ouvriĂšre mĂ©tallo n’est pas tant de restaurer la figure mythique d’un groupe ouvrier intĂ©grĂ© que d’en perdre le moins possible ». Le succĂšs mitigĂ© de l’USM en qualitĂ© de syndicat de site tĂ©moigne assez bien de ce difficile retour en arriĂšre. 37Plus largement, les diffĂ©rences de reprĂ©sentations et de revendications observĂ©es d’une gĂ©nĂ©ration Ă  l’autre sont symptomatiques d’un fait qui, Ă  notre sens, dĂ©passe le seul secteur de la construction navale Ă  savoir le dĂ©placement de prĂ©occupations salariales classiques basĂ©es sur la conquĂȘte de droits attachĂ©s au travail et Ă  l’emploi, vers des prĂ©occupations d’accĂšs et de maintien dans l’emploi des plus jeunes. On peut se demander, pour conclure, si la fracture gĂ©nĂ©rationnelle observĂ©e au sein du monde ouvrier ne constitue pas, in fine, qu’un Ă©piphĂ©nomĂšne de ce que nous observerons dans les annĂ©es Ă  venir Ă  une Ă©chelle plus globale. Si les modes diffĂ©renciĂ©s de socialisation professionnelle au sein de l’industrie navale sont aux fondements de l’engendrement de gĂ©nĂ©rations ouvriĂšres distinctes, on peut lĂ©gitimement penser en effet qu’un mĂȘme processus est Ă  l’Ɠuvre Ă  l’échelle de la sociĂ©tĂ© salariale dans son ensemble, tant la jeunesse constitue de nos jours et Ă  ses frais un support essentiel de la transformation structurelle du salariat Fondeur et Lefresne, 2000. Haut de page Bibliographie Banque de France, 2007. Fascicule structurel bassin d’emploi de Saint-Nazaire et la filiale navale. ASCL, Saint-Nazaire. Beaud, S., Pialoux, M., 1998 [1993]. Permanents et temporaires. In Bourdieu, P. Ed. La misĂšre du monde. Seuil, Paris, pp. 493–512. Beaud, S., Pialoux, M., 1999. Retour sur la condition ouvriĂšre. Fayard, Paris. Bigaud, R., 1991. Les rapports sociaux au sein des chantiers navals de Saint-Nazaire. In Saint-Nazaire et la construction navale. Éditions de l’ÉcomusĂ©e, Saint-Nazaire, pp. 144–8. Boltanski, L., Chiapello, E., 1999. Le nouvel esprit du capitalisme. Gallimard, Paris. Bonneau, C., Guimard, E., Menard, C., 2000. PlongĂ©e au cƓur des chantiers de l’Atlantique. L’Usine Nouvelle 2735, 72–88. Brochier, C., 2006. Le contrĂŽle du travail par les ouvriers analyses Ă  partir d’observations participantes. Sociologie du travail 48 4, 525–544. Centre d’histoire du travail, 2005a. Un printemps sur l’estuaire Saint-Nazaire–La CFDT au cƓur des luttes, 1945–1975. Éditions du CHT, Nantes. Centre d’histoire du travail, 2005b. Vivre Ă  MĂ©an-PenhoĂ«t. Quartier nazairien de la construction navale. Éditions du CHT, Nantes. Chauvel, L., 1998. Le destin des gĂ©nĂ©rations, structure sociale et cohortes en France au XXe siĂšcle. Puf, Paris. ÉcomusĂ©e de Saint-Nazaire, 1999. Les solidaritĂ©s Ă  Saint-Nazaire. Éditions de l’ÉcomusĂ©e, Saint-Nazaire. Fabre, E., 2005. L’emploi dans l’industrie entre 1992 et 2002 le poids croissant de l’intĂ©rim. DARES, PremiĂšre SynthĂšses Information 16 3, 1–4, Flamant, N., 2005. Conflit de gĂ©nĂ©ration ou conflit d’organisation ? Un train peut en cacher un autre... Sociologie du travail 47 2, 223–244. Fleury, J.‑P., 1980. Ouvriers-paysans. Ouvriers ruraux de BriĂšre. ThĂšse de l’universitĂ© de Nantes, Nantes. Fondeur, Y., Lefresne, F., 2000. Les jeunes, vecteurs de la transformation structurelle des normes d’emploi en Europe ? Travail et emploi 83, 115–136. Fribourg, B., 2003. Le travail intĂ©rimaire comme dĂ©fi posĂ© au syndicalisme, l’exemple du SNSEET-CGT aux chantiers navals de Saint-Nazaire. In Contraintes, normes et compĂ©tences au travail, actes des IXe JournĂ©es de Sociologie du travail, Centre Pierre Naville, Paris, 27 et 28 novembre, pp. 71–79. Gelabart, Y., 2001. Rapport de stage - Stage production rĂ©alisĂ© Ă  ALSTOM Chantiers de l’Atlantique du 19 fĂ©vrier au 16 mars 2001. Malek, S., Soulier, A., 2005. Un monde moderne. Les films de Mars, Paris. Misset, S., 2009. La dĂ©stabilisation des strates qualifiĂ©es du groupe ouvrier. Le cas des ouvriers professionnels de Peugeot-CitroĂ«n. ThĂšse de l’universitĂ© Paris Descartes, Paris. Molinari, J.‑P., 1997. La sociologie de la classe ouvriĂšre de Michel Verret. Le Mouvement Social 181, 105–120. MouliniĂ©, V., 1993. La passion hiĂ©rarchique. Une ethnographie du pouvoir en usine. Terrain 21, 129–142. Oury, L., 2005 [1973]. Les prolos. Éditions du Temps, Nantes. Papinot, C., 2010. Du statut au contrat. MĂ©tamorphose de l’ouvrier d’État en collaborateur » DCNS dans la construction navale militaire. In Cartier, M., RetiĂšre, J.‑N., Siblot, Y. Eds., Le salariat Ă  statut. GenĂšses et cultures. Presses universitaires de Rennes, Rennes, pp. 257–270. Patron, J., 2004. La mondialisation vĂ©cue Ă  Saint-Nazaire en l’an 2003. UL CGT, Saint-Nazaire. Pernot, J.‑M., 2008. Syndicats et sous-traitance aux chantiers de l’Atlantique. In Beroud, S., Denis, J.‑M., Dufour, C., Hege, A., Pernot, J.‑M. Eds., FlexibilitĂ© et action collective. SalariĂ©s prĂ©caires et reprĂ©sentation syndicale. DARES, Document d’études 144, Paris, pp. 25–46. Pialoux, M., 1996. StratĂ©gies patronales et rĂ©sistances ouvriĂšres. La modernisation » des ateliers de finition aux usines Peugeot de Sochaux 1989–1993. Actes de la recherche en sciences sociales 116, 5–20. RĂ©ault, J., 1977. La prolĂ©tarisation inachevĂ©e. UniversitĂ© de Nantes, Lersco. RĂ©ault, J., 1991. Les ouvriers nazairiens ou la double vie. In Saint-Nazaire et la construction navale. Éditions de l’ÉcomusĂ©e, Saint-Nazaire, pp. 110–125. Seiller, P., 2010a. Être chantier » ou ĂȘtre sous-traitant aux chantiers navals de Saint-Nazaire. JournĂ©e des doctorants en sociologie des groupes professionnels, juin 2010, AFS, RT1, Paris. Seiller, P., 2010b. Sanctionner la mise en danger au travail les cartons jaunes » aux chantiers navals de Saint-Nazaire. In Actes du colloque Organisation, gestion productive et santĂ© au travail, universitĂ© de Rouen, GRIS, AFS RT25, pp. 405–415. Verret, M., 1979. L’Espace ouvrier. Armand Colin, Paris. Verret, M., 1982. Le travail ouvrier. Armand Colin, Paris. Verret, M., 1995. Chevilles ouvriĂšres. Les Éditions de l’Atelier, Paris. Haut de page Annexe Annexe 1. La construction de trois gĂ©nĂ©rations ouvriĂšres. Les trois gĂ©nĂ©rations ont Ă©tĂ© construites sur la base de 11 rĂ©cits pour la premiĂšre, 16 pour la seconde et 13 pour la troisiĂšme. Ces rĂ©cits ont Ă©tĂ© croisĂ©s avec les statistiques issues des bilans sociaux de l’entreprise afin, en particulier, de mieux situer les trajectoires gĂ©nĂ©rationnelles en fonction des diffĂ©rents moments de la politique de recrutement et de gestion du personnel embauches de personnel qualifiĂ© ou non qualifiĂ©, dĂ©veloppement de l’apprentissage, recours croissant aux emplois intĂ©rimaires et Ă  la sous-traitance pour les emplois ouvriers, cycle d’entrĂ©es et de sorties en fonction du niveau de commandes, etc.. Les statistiques disponibles couvrent la pĂ©riode 1956–2011. La premiĂšre gĂ©nĂ©ration est entrĂ©e aux Chantiers entre la fin des annĂ©es 1940 et 1965. La moitiĂ© d’entre eux sont entrĂ©s Ă  l’ñge de 14–15 ans en qualitĂ© d’apprentis. Une autre moitiĂ© est entrĂ©e entre 17 et 22 ans, soit pour occuper leur premier emploi pour les plus jeunes, soit, pour les autres, aprĂšs quelques annĂ©es de travail dans la ferme familiale ou en qualitĂ© de manƓuvre pour des entreprises locales, notamment dans le domaine des BTP, particuliĂšrement pourvoyeurs d’emplois dans la rĂ©gion nazairienne de l’AprĂšs-guerre. La seconde gĂ©nĂ©ration est majoritairement embauchĂ©e de la fin des annĂ©es 1960 au dĂ©but des annĂ©es 1980. Beaucoup sont Ă©galement entrĂ©s en qualitĂ©s d’apprentis, mais le nombre d’ouvriers Ă©tant passĂ©s au prĂ©alable par un autre emploi temporaire, CDD ou CDI, pour une durĂ©e moyenne de trois Ă  quatre ans, s’accroĂźt sensiblement. Si, plus on avance dans les gĂ©nĂ©rations et plus l’entrĂ©e aux Chantiers est diffĂ©rĂ©e avec, en particulier, un passage croissant par l’intĂ©rim, on observe en revanche une constante sur la base de ces deux premiĂšres gĂ©nĂ©rations une fois entrĂ©es aux Chantiers, elles n’en sortiront plus avant leur retraite. La derniĂšre gĂ©nĂ©ration, enfin, est embauchĂ©e tout au long des annĂ©es 1990, une embauche prĂ©cĂ©dĂ©e presque Ă  chaque fois d’une expĂ©rience de quelques annĂ©es en qualitĂ© d’intĂ©rimaire, le plus souvent sur le site des chantiers navals. RapportĂ©es aux statistiques de l’entreprise, la premiĂšre gĂ©nĂ©ration reprĂ©sentait encore 41,3 % des effectifs ouvriers en 2001, la seconde 43,4 %, et la troisiĂšme 15,3 %. Haut de page Notes 1 PICS 2510, CNRS, sous la direction de Francis Bailleau, 2004–2006. 2 Outre l’exploitation de statistiques relatives aux effectifs salariĂ©s des Chantiers Ă©volution dĂ©mographique, rĂ©partition par sexe, Ăąge et catĂ©gories socioprofessionnelles, niveaux de qualification, structure des emplois, etc. et au poids de l’industrie navale dans le bassin d’emploi nazairien, le matĂ©riau recueilli dans le cadre de cette enquĂȘte est essentiellement ethnographique et repose, pour l’essentiel, sur des entretiens et rĂ©cits de vie rĂ©alisĂ©s auprĂšs de 40 ouvriers mĂ©tallos — les uns retraitĂ©s, les autres en activitĂ©. Des entretiens ont Ă©galement Ă©tĂ© menĂ©s auprĂšs de la direction des ressources humaines des Chantiers, des principaux syndicats prĂ©sents dans l’entreprise CGT, CFDT, FO, de la mutuelle des Chantiers, des Castors de l’Ouest, du Centre de culture populaire de Saint-Nazaire, des maisons de quartier implantĂ©es dans des territoires accueillant historiquement un grand nombre d’ouvriers de la navale, de l’association des anciens salariĂ©s de Dubigeon chantiers navals de Nantes, dont beaucoup ont Ă©tĂ© embauchĂ©s par les Chantiers de l’Atlantique suite Ă  la fermeture du site nantais en 1987. ParallĂšlement Ă  ces entretiens, nous avons consultĂ© toute une documentation Ă©crite se rapportant Ă  chacun de ces acteurs presse rĂ©gionale, professionnelle et syndicale, outils de communication des Chantiers, autobiographies, etc.. Enfin, quelques observations et visites de site ont pu ĂȘtre rĂ©alisĂ©es sous l’encadrement d’un agent de maĂźtrise. 3 Ces bornes chronologiques correspondent Ă  l’histoire des Chantiers de l’Atlantique et recouvrent trois gĂ©nĂ©rations de travailleurs. NĂ©s en 1955 de la fusion des Ateliers et chantiers de la Loire créés en 1882 et des Chantiers de PenhoĂ«t créés en 1861, les Chantiers de l’Atlantique — propriĂ©tĂ© de la Compagnie gĂ©nĂ©rale transatlantique jusqu’en 1976 puis d’Alsthom par la suite — ont Ă©tĂ© rachetĂ©s en janvier 2006 par la sociĂ©tĂ© norvĂ©gienne Aker-Yards, deuxiĂšme constructeur de navires en Europe, qui a elle-mĂȘme cĂ©dĂ© les Chantiers en octobre 2007 au groupe corĂ©en SIX Ship building, cinquiĂšme constructeur naval au monde. 4 Le mĂ©tier de mĂ©tallo dans la construction navale comprend trois principaux corps de mĂ©tiers les soudeurs, les charpentiers-fer et les chaudronniers-tĂŽliers. 5 Nous dĂ©signons par Chantiers » l’entreprise Chantiers de l’Atlantique, et par chantiers » les chantiers navals de Saint-Nazaire qui regroupent pour leur part les Chantiers de l’Atlantique ainsi que les entreprises sous-traitantes prĂ©sentes sur le site. Cette prĂ©cision vaut surtout pour toute la partie de ce texte qui traite des rapports de travail entre les ouvriers des Chantiers et ceux de la sous-traitance, rapports largement dĂ©terminĂ©s par les diffĂ©rences statutaires qui les caractĂ©risent. 6 La ville de Saint-Nazaire en tire elle aussi trĂšs vite son identitĂ© premiĂšre. Ainsi, on peut lire en tĂȘte des bulletins d’activitĂ© municipale des annĂ©es 1960 Saint-Nazaire, capitale de la construction navale ». 7 Les ressources tirĂ©es de l’économie rurale permettaient par exemple aux ouvriers-paysans de BriĂšre de bien mieux supporter que leurs homologues vivant Ă  Saint-Nazaire les consĂ©quences financiĂšres des longues grĂšves survenues dans les annĂ©es 1950 et 1960. Autre aspect de l’économie plurielle dĂ©veloppĂ©e par les BriĂ©rons on sait que les revenus tirĂ©s de l’activitĂ© aux Chantiers ne se limitaient pas au seul salaire de l’ouvrier. La configuration des Chantiers Ă©tait telle qu’il Ă©tait assez facile de recourir au coulage vols d’outils, de quincailleries, etc. ou Ă  la pratique de la perruque qui consiste Ă  utiliser et dĂ©tourner le temps de travail ainsi que les outils et matĂ©riaux mis Ă  la disposition des ouvriers pour concevoir divers biens destinĂ©s Ă  un usage privĂ©. Ainsi, on peut entendre dire en BriĂšre que les volets des maisons sont de la mĂȘme couleur que les paquebots sortis des Chantiers ! 8 Les Chantiers comptaient 10 500 salariĂ©s en 1955, 8200 en 1964 et 6600 en 1974. 9 Entre 1992 et 2002, le nombre d’emplois intĂ©rimaires dans l’industrie en France a Ă©tĂ© multipliĂ© par trois Fabre, 2005. 10 Les carnets de commande vont d’ailleurs vite se remplir dĂšs 1998, les Chantiers ont 17 paquebots Ă  livrer avant 2005. 11 Le procĂšs qui s’est tenu en fĂ©vrier 2008 Ă  Saint-Nazaire pour juger la part de responsabilitĂ© des Chantiers de l’Atlantique et du sous-traitant Endel au sujet de l’effondrement de la passerelle survenu le 15 novembre 2003 lors de la visite du Queen Mary II aura permis aussi de poser un certain nombre de questions sur les dĂ©rives de la sous-traitance qui, pour obtenir des marchĂ©s, n’hĂ©site pas Ă  casser » les prix au dĂ©triment, parfois, de la qualitĂ© de la prestation rendue. Sur ce point, un fournisseur dĂ©clarait lui-mĂȘme Nous travaillons Ă  des prix que les entreprises du bĂątiment n’accepteraient pas Ă  terre » Bonneau et al., 2000. 12 À l’époque, les sous-traitants repĂ©rĂ©s comme des partenaires privilĂ©giĂ©s sont d’ailleurs invitĂ©s Ă  mettre en Ɠuvre leur propre Cap 21. 13 La part de l’effectif intĂ©rimaire Ă©quivalent temps plein dans l’ensemble des ouvriers employĂ©s par les Chantiers passe de 4,2 % en 1981 Ă  13,12 % en 2002. 14 Cette part dĂ©passe en effet les 80 % Banque de France, 2007. En 2007, la rĂ©munĂ©ration moyenne mensuelle brute aux Chantiers Ă©tait de 2866 D, et de 2304 D pour les seuls ouvriers. 15 La moyenne d’ñge a longtemps Ă©tĂ© tirĂ©e vers le haut du fait des Ă©vĂšnements de filialisation et de dĂ©filialisation dans l’industrie navale les Chantiers de l’Atlantique ont intĂ©grĂ© dans leurs effectifs des salariĂ©s de Babcock Chaudronnerie en 1973, de la SEMM Sotrimec en 1975, de la SMPA Alsthom Atlantique en 1982, des Chantiers de Dubigeon en 1987 et des Ateliers et Chantiers du Havre en 1999, ce qui a ainsi pesĂ© sur le recrutement des nouvelles gĂ©nĂ©rations. En 2001, 21,8 % des effectifs ouvriers Ă©taient ainsi ĂągĂ©s de moins de 34 ans, 12 % avaient entre 35 et 44 ans, et 66 % entre 45 et 60 ans. Ces trois classes d’ñge reprĂ©sentaient, respectivement, 50,3 %, 17 % et 32,7 % des effectifs ouvriers en 1978. 16 Le dĂ©cret nÂș 99‑247 du 29 mars 1999 autorise, sous certaines conditions, le dĂ©part en prĂ©retraite des personnes de plus de 50 ans qui ont Ă©tĂ© exposĂ©es au cours de leur carriĂšre professionnelle Ă  l’inhalation de poussiĂšres d’amiante. Elles reçoivent alors de leur employeur une allocation de cessation anticipĂ©e d’activitĂ© couramment qualifiĂ©e de prĂ©retraite amiante ». 17 Parmi ces rĂ©cits et recueils de photos, voir notamment les ouvrages mĂ©moriels Ă©ditĂ©s Ă  Nantes par le Centre d’histoire du travail 2005a, 2005b. 18 Citons, Ă  titre d’exemple, quelques sobriquets relevĂ©s dans les diffĂ©rents tĂ©moignages recueillis MassĂ© gros yeux » pour l’ouvrier MassĂ© qui Ă©tait toujours en colĂšre, Ben Hur » pour l’ouvrier dotĂ© d’une trĂšs grande force physique, Maillot jaune » et Maillot vert » pour deux ouvriers zĂ©lĂ©s, qui faisaient la course en travaillant... 19 Des embauches qui sont directement liĂ©es aux 17 commandes de paquebots Ă  livrer entre 1998 et 2005. Ainsi, alors que les Chantiers enregistraient 89 dĂ©parts pour 12 entrĂ©es sur des emplois permanents en 1997, le ratio s’inverse deux ans plus tard avec des flux beaucoup plus importants on compte 230 dĂ©parts pour 381 entrĂ©es en 1999, et 247 dĂ©parts pour 851 entrĂ©es en 2000. 20 Cet impĂ©ratif de lutte et de solidaritĂ© concerne, ici aussi, les ouvriers permanents, en opposition aux intĂ©rimaires qui, fragilisĂ©s dans leur situation d’emploi, sont autorisĂ©s sinon encouragĂ©s Ă  ne pas faire grĂšve. 21 Si les relations nouĂ©es Ă  l’extĂ©rieur de l’entreprise dĂ©terminaient en partie les relations internes, la rĂ©ciproque est Ă©galement vraie tant la vie ouvriĂšre des Chantiers s’est longtemps prolongĂ©e en dehors des murs de l’entreprise, que l’on songe pour cela aux nombreux cafĂ©s qui bordaient alors le terre-plein de PenhoĂ«t ou encore au succĂšs qu’a connu localement le phĂ©nomĂšne de l’autoconstruction dĂ©veloppĂ© par les Castors de l’Ouest ÉcomusĂ©e de Saint-Nazaire, 1999. 22 À l’inverse, les affiliations syndicales des ouvriers avaient plutĂŽt pour effet de crĂ©er de la distance sinon du conflit avec leurs supĂ©rieurs. Ainsi, plus on Ă©tait rouge » et moins on avait de probabilitĂ© de bĂ©nĂ©ficier de promotion interne. 23 On trouvera des exemples actualisĂ©s de ce sentiment d’humiliation et d’infantilisation vĂ©cu par les ouvriers expĂ©rimentĂ©s dans le rĂ©cit que nous livre Pauline Seiller 2010b au sujet de la mise en Ɠuvre parfois zĂ©lĂ©e des cartons jaunes » adressĂ©s sous forme de sanctions aux ouvriers ne respectant pas les consignes de sĂ©curitĂ©. 24 Ce recours massif Ă  une main d’Ɠuvre Ă©trangĂšre et bon marchĂ© ne se fera pas sans quelques entorses au droit du travail, ce qui donnera aussi l’occasion Ă  la section locale de la CGT de dĂ©couvrir et de mener de nouveaux combats dans la dĂ©fense des salariĂ©s du site voir, sur ce point, les rĂ©cits de Jo Patron 2004 et Jean-Marie Pernot 2008 ainsi que le film documentaire de Sabrina Malek et Arnaud Soulier 2005. 25 On retrouve ces mĂȘmes observations dans les travaux de Christian Papinot 2010 sur les rapports de travail entre permanents et intĂ©rimaires de la construction navale militaire, rapports largement construits par la violence symbolique des diffĂ©rences de statut entre les anciens ouvriers d’État, aujourd’hui collaborateurs » DCNS, et les nouveaux ouvriers de page Pour citer cet article RĂ©fĂ©rence papier Nicolas Roinsard, Entrer aux Chantiers les transformations de la socialisation professionnelle et des rapports intergĂ©nĂ©rationnels aux Chantiers de l’Atlantique 1950–2005 », Sociologie du travail, Vol. 54 - n° 2 2012, 197-216. RĂ©fĂ©rence Ă©lectronique Nicolas Roinsard, Entrer aux Chantiers les transformations de la socialisation professionnelle et des rapports intergĂ©nĂ©rationnels aux Chantiers de l’Atlantique 1950–2005 », Sociologie du travail [En ligne], Vol. 54 - n° 2 Avril-Juin 2012, mis en ligne le 14 novembre 2018, consultĂ© le 21 aoĂ»t 2022. URL ; DOI de page Auteur Nicolas RoinsardCNRS UMR 7217, Centre de recherches sociologiques et politiques de Paris, Ă©quipe Genre, travail, mobilitĂ©, 59–61, rue Pouchet, 75017 Paris, du mĂȘme auteur Changes in social integration through employment Metropolitan France and Reunion Island an exchange of views Haut de page

comité d entreprise chantiers de l atlantique